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LA


MALADIE DU PESSIMISME


AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE

I.

UN PRÉCURSEUR DE SCHOPENHAUER, LEOPARDI.



Est-il vrai que le monde soit mauvais, qu’il y ait un mal radical, absolu, invincible, dans la nature et dans l’humanité, que la vie soit le don funeste d’un pouvoir malfaisant ou la manifestation d’une volonté déraisonnable, est-il vrai, en un mot, que l’existence soit un malheur, et que le néant vaille mieux que l’être ? Ces propositions sonnent étrangement aux oreilles des hommes de notre temps, étourdis par le bruit de leur propre activité, justement fiers des progrès de l’industrie et de la science, et dont le tempérament, médiocrement élégiaque, s’accommode à merveille d’un séjour prolongé sur cette terre, des conditions laborieuses qui leur sont faites, de la somme des biens et des maux qui leur sont départis. Elle existe cependant, cette philosophie qui maudit la vie, et non-seulement elle se manifeste dans quelques livres brillans et aventureux, comme un défi jeté à l’optimisme scientifique et industriel du siècle, elle se développe par la discussion même, elle se propage par une contagion subtile dans un certain nombre d’esprits qu’elle trouble. C’est une sorte de maladie intellectuelle, mais une maladie privilégiée, concentrée jusqu’à ce jour dans les sphères de la haute