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pays vaincus. Il y avait aussi, et en grand nombre, les étudians qui se rendaient auprès des professeurs connus, dans les villes où florissaient les études, les malades qu’attiraient les médecins célèbres, les eaux sulfureuses et les climats sains, les dévots, qui visitaient l’un après l’autre tous les sanctuaires importans et qui avaient toujours quelque question à faire aux oracles en renom ; puis les gens qui n’avaient pas trouvé la fortune chez eux et qui la cherchaient ailleurs. « tous ceux, disait Sénèque, qui espèrent tirer un bon parti de leur beauté ou de leurs talens affluent dans ces grandes villes où l’on paie plus cher qu’ailleurs les vertus et les vices. » Il est probable qu’ils étaient bien assez nombreux pour encombrer les chemins publics. Après ceux qui voyageaient par devoir ou par nécessité venaient ceux qui voyageaient par plaisir. On prit de bonne heure le goût de connaître les pays qui avaient conservé de beaux monumens ou qui rappelaient de grands souvenirs. La Grèce d’abord attirait tous les lettrés, et de là ils passaient en Orient. César ne manqua pas, après Pharsale, de voir « les champs où fut Troie. » Germanicus parcourut l’Asie et l’Égypte, dont il se fit expliquer les curiosités et lire les hiéroglyphes par les prêtres. On peut supposer que parmi ces admirateurs sincères du passé qui en visitaient pieusement les restes, il se trouvait bien quelques personnes qui voyageaient par mode et par air, pour faire comme tout le monde. Il y en avait aussi, nous le savons, qui n’entreprenaient ces longues courses que pour ne pas rester chez eux. Les grandes civilisations raffinées qui créent tant de besoins à l’homme en lui donnant l’habitude de satisfaire tous ses désirs, qui surexcitent sans cesse l’âme sans la contenter, amènent souvent avec elles un compagnon fâcheux, l’ennui, « qui coule, dit Lucrèce, de la source même des plaisirs, » et suffit pour rendre la vie insupportable. On s’imagine toujours que le meilleur moyen de lui échapper c’est de changer de place, et l’on s’empresse de quitter sa maison et son pays. En vain les philosophes anciens répétaient que l’on ne se délivre pas ainsi de ses soucis, qu’ils nous suivent fidèlement dans toutes nos excursions et « montent en croupe derrière nous. » Les philosophes ne corrigeaient personne, et les ennuyés du second siècle, comme ceux de nos jours, continuaient à chercher partout des spectacles inconnus qui pouvaient un moment les distraire.

Hadrien avait pour courir le monde toutes ces raisons à la fois. La plus importante, la meilleure de toutes, c’est qu’il voulait s’assurer par lui-même de l’état de l’empire. Un administrateur comme lui n’ignorait pas qu’il est bon que le maître voie tout de ses yeux. Il avait coutume de s’arrêter dans les grandes villes qui étaient sur sa route ; il se faisait rendre compte de la façon dont elles étaient administrées, il étudiait minutieusement leurs ressources et leurs