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ajoutent à ces renseignemens quelques détails curieux. On voit par les descriptions de Pline le Jeune que dans ses jardins, comme dans les paysages dont on vient de parler, les allées sont bordées par de véritables murailles de verdure. C’est ainsi qu’il a grand plaisir à nous dépeindre une belle allée de platanes dont il est fier. « Mes platanes, dit-il, sont couverts de lierre qui court autour du tronc et des branches et, s’étendant d’un arbre à l’autre, les lie tous ensemble. » Entre eux, pour que le mur soit plus épais, on a planté des buis et, derrière les buis, des lauriers, afin d’achever de remplir l’intervalle. Le buis surtout joue un rôle important dans les jardins romains. Non-seulement il forme la bordure des parterres et encadre complaisamment les dessins capricieux qu’on y a tracés, mais on le taille de la manière la plus bizarre. Ce n’est pas assez d’en faire des pyramides ou de lui donner l’apparence d’un vase, comme à Versailles ; tantôt on veut qu’il représente des animaux qui se regardent ; d’autres fois on en forme des lettres qui expriment le nom du propriétaire ou de l’ouvrier[1]. Ces fantaisies sont à la mode depuis Auguste : on dirait que les Romains, dans une sorte d’enivrement de leur fortune, sont devenus alors plus sensibles à ce que Saint-Simon appelle « le plaisir superbe de forcer la nature. » Ils essaient d’introduire la campagne à la ville, ils amènent la ville aux champs. Pour niveler le terrain sur lequel s’élèveront leurs villas, ils rasent les montagnes, ils comblent les vallées. Dans leurs jardins, ils n’aiment que les arbres dont on a arrêté la croissance ou dénaturé la forme. Il y a bien quelques gens d’esprit, les poètes surtout, Horace, Properce, Juvénal, qui protestent contre ces caprices. Sénèque déclare hautement qu’il préfère « les ruisseaux dont on n’a pas contraint le cours et qui coulent comme il plaît à la nature, et les prairies qui sont charmantes sans art ; » mais Sénèque n’en habitait pas moins des villas au goût du jour ; il avait chez lui des haies tondues, des buis taillés, des arbres contrefaits et tous les autres tours de force qu’il trouvait ridicules : tant il est vrai qu’il est bien plus facile de se moquer de la mode que de s’y soustraire.

Il est du reste évident que les jardins et les parcs étaient loin d’avoir alors l’importance qu’ils ont prise chez nous. On le voit bien au peu de place qu’ils tiennent dans les descriptions de Pline. Les anciens ne possédaient pas tous les moyens de les varier et de les embellir que nous connaissons aujourd’hui. Plusieurs des arbres qui

  1. Ne nous hâtons pas trop de rire de cette manie : ne la voyons-nous pas renaître sous nos yeux ? La mode ne s’est-elle pas établie récemment de tracer dans nos jardins des dessins bizarres avec des fleurs ? On a déjà formé le chiffre du propriétaire, on en viendra bientôt à écrire le nom tout entier.