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une armée française en Lorraine sans déclaration de guerre. Nancy fut étroitement investie ; le roi de France demanda que la jeune femme de Monsieur lui fût livrée. La princesse réussit à s’évader sous un costume d’homme, en compagnie du cardinal Nicolas François, frère de Charles IV, qui conduisait des négociations avec le roi. Elle suivit à cheval la route de Thionville, ou elle arriva si fatiguée, que, roulée dans son manteau, elle s’endormit sur le glacis pendant qu’on parlementait pour lui faire ouvrir les portes. Elle écrivit de Thionville à l’infante et à Puylaurens. Marie de Médicis éprouva, en apprenant son arrivée, « la plus grande satisfaction qu’elle eût reçue en sa vie. » Monsieur permit à sa femme de venir le rejoindre, il ne savait plus ce qu’il avait à espérer de Richelieu ; Louis XIII était entré en maître dans Nancy, et le cardinal ne semblait pas plus enclin que de coutume à la générosité. Il redoutait sur toute chose de voir les Provinces-Unies faire la paix avec l’Espagne ; il leur faisait les offres les plus séduisantes, pour les engager à continuer la guerre, il harcelait partout l’Espagne et ne négligeait aucun moyen de l’affaiblir.

L’infante Isabelle mourut le 1er décembre 1633 ; ses dernières paroles furent adressées à Monsieur : elle lui tint « de bons et saints propos sur l’amour qu’il est obligé de porter à sa mère, lui recommandant assez fort la pitié ; enfin elle luy dit que, si en ce monde elle ne luy a peu faire tout ce qu’elle voulait et eût désiré, qu’allant maintenant vers Dieu, elle le supplierait particulièrement de l’ayder et consoler madame sa mère,[1]. » Philippe IV avait nommé d’avance un conseil de régence, mais la mort de l’infante fut véritablement un jour de deuil pour les réfugiés français. Marie de Médicis perdait l’amie la plus constante, la plus délicate et la plus généreuse, la petite-fille de Charles-Quint avait toujours eu la main ouverte ; pour payer ses dettes, ses pensions et ses legs, il fallut vendre les joyaux du trésor qu’elle avait mis en gage pour le paiement de l’armée.

Dès qu’il faut prêcher l’union, on peut dire qu’il n’y a plus d’union : rien ne séparait plus au fond la reine mère de Richelieu que la haine ; l’âge, le froid de l’exil, avaient glacé son ambition, elle n’aspirait plus à régner, son fils aîné n’était plus un enfant, il avait montré de vraies capacités militaires ; Monsieur avait des visées trop personnelles, la reine se sentait plus abandonnée chaque jour. On a souvent vu d’ailleurs l’exil creuser des abîmes entre ceux qu’il a d’abord rapprochés ; les riens y grossissent et prennent des proportions monstrueuses. L’ennui, la vie fermée, l’espèce d’autophagie de ceux qui sont jetés loin de leur pays, entretiennent des

  1. Le secrétaire Della Faille à M. Beuvis. Bruxelles.