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moment particulièrement délicat, celui où les moines, après vous avoir ficelé, vous lancent brusquement de la plate-forme du tour dans le vide.

Je dois ajouter qu’on est payé de ces peines légères, en visitant les Météores, par la découverte de peintures murales de la plus haute importance pour l’histoire de l’art, égales, sinon supérieures, aux meilleures reliques du mont Athos. Le couvent de Saint-Varlaam, où nous allâmes coucher, est le plus riche en ce genre ; et du haut de cet observatoire naturel, le regard embrasse toute la plaine de Thessalie et le cours sinueux du Léthé. En contemplant au jour tombant cette gorge convulsée, d’un aspect bizarre, triste et solitaire, je compris comment les anciens avaient placé au point où je me trouvais la source des fleuves infernaux, et dédié cette vallée aux divinités funèbres, aux rites magiques et aux incantations des sorcières. Quand la lune vint jeter une large lueur glauque sur les eaux de la rivière, qui rayait de sinueuses lignes d’acier l’ombre de la plaine, je me préparai à entendre les cris et le rhombe des classiques magiciennes deThessalie. Je ne fus pourtant troublé que par l’igoumène de yarlaàm, un vieil ascète tout blanc qui vint me rejoindre avec l’évêque et un de ses caloyers. Nous causâmes, et comme je lui demandais si son troupeau était nombreux, il me répondit avec tristesse : — Nous ne sommes plus que six ; la foi s’en va, il ne vient plus de jeunes aux Météores pour remplacer les vieux que le Seigneur appelle. Depuis dix ans, aucun caloyer ne s’est présenté, excepté Vanghéli.

À ce nom, l’image du comédien de Nicée se réveilla subitement en moi ; il est ainsi des syllabes qui tombent comme une pierre dans les trous obscurs de la mémoire et en font jaillir une pluie de souvenirs. — Vous avez un frère qui se nomme Vanghéli ? m’écriai-je avec intérêt.

— Il en est venu un il y a quelques années, un vieillard qui est mort justement il y a trois semaines. Je me rappelle même à ce propos, ajouta l’igoumène, que le bruit étant parvenu ici de votre arrivée à Larisse, le mourant témoigna l’espoir de vous voir aux Météores avant sa fin ; il disait que le voyageur annoncé devait être un Franc de Stamboul qu’il avait connu.

À ce moment, le petit caloyer, qui se tenait en arrière avec une discrétion ecclésiastique et semblait brûler de se mêler à la conversation de ses supérieurs, s’avança timidement : — Voilà la chose, dit-il. C’est moi qui ai soigné Vanghéli, comme il s’en allait à Dieu ; mais sa tête, étant bien vieille, divaguait ; il racontait, sans que j’aie bien compris, qu’il avait une dette envers le voyageur Franc, et qu’il regrettait de mourir sans pouvoir la payer. Il recommandait