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du commerce. Il serait obligé de vendre d’autant plus cher à d’autres, sous peine de se ruiner et de perdre le bénéfice légitime de son travail. Il en est autrement pour les services de l’être collectif qu’on appelle état : ces services, ceux qui coûtent le plus cher, ne sont pas rendus à un individu en particulier, ils le sont à tout le monde à la fois, et la part qui en revient aux uns n’en prive pas les autres. Parce que la sécurité de ma personne sera garantie, celle de mon voisin ne sera pas compromise, et tout le monde profitera également des dépenses qui seront faites pour assainir les villes et les campagnes : améliorer l’hygiène, perfectionner les voies de communication, répandre l’instruction, etc. Toutes ces dépenses ont un but général qui est le progrès de la civilisation. C’est la mission spéciale de l’état, et c’est pour cela que nous sommes réunis en société.

Sans doute, en équité stricte, tout le monde devrait participer également à ces dépenses, puisque chacun en profite également ou à peu près, et c’est là-dessus qu’on peut fonder d’une façon irréfutable la légitimité des impôts indirects ; mais il n’y a pas que des impôts indirects à demander, il faut à l’état des ressources fixes et assurées qui ne lui manqueront pas à un moment donné, lorsqu’il en aura le plus besoin ; et ces ressources, il ne peut les trouver que dans une imposition directe sur la richesse acquise. Il s’adresse donc naturellement à ceux qui possèdent cette richesse. Doit-il s’y adresser sous la forme progressive ? Alors la dette commune contractée dans l’intérêt de tous, et qui doit grever comme d’une hypothèque générale tous les biens de la société, n’en grèvera plus que quelques-uns. Sous quel prétexte ? On comprend parfaitement qu’on ne fasse pas payer ceux qui ne possèdent rien. « Là où il n’y a rien, dit le proverbe, le roi perd ses droits, » et d’ailleurs c’est une maxime de l’économie politique moderne que les impôts pèsent sur les choses et non sur les personnes. Vous n’avez rien, on ne peut rien vous demander. Mais quoi ! vous possédez un peu de cette propriété générale qui doit faire face à toutes les dépenses, et, sous le prétexte que votre part est trop minime, vous serez exempt de toute contribution ! Qui sera juge de cette infériorité de votre avoir ? Nous n’obéissons plus à une règle simple, facile à établir. Nous sommes en plein arbitraire et à la discrétion du législateur modéré aujourd’hui, violent demain, selon les circonstances. On admettrait encore que, s’il y avait dans la société une classe d’individus jouissant de privilèges spéciaux comme ceux de gouverner le pays, d’avoir seuls le droit de suffrage ou d’occuper certaines fonctions politiques, on admettrait, dis-je, qu’on vînt demander à ceux-ci de payer plus que les autres ; ce