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tout en elle porte le cachet de la tradition sacerdotale et d’une rudesse encore extrême.

Mais, si les types des combattans sont presque identiques, s’il est permis d’y voir moins des hommes différens qu’un même homme différencié par ses altitudes, comme, en revanche, ce seul type de force et de jeunesse est pleinement exprimé ! Quelle vérité, quelle justesse, quelle science déjà dans ces mouvemens, dans cette façon de traiter le corps humain ! Quelle entente du rôle qu’y joue chacun des membres en vue d’une action déterminée ! Voyez par exemple cet archer à genoux qui s’apprête à lancer sa flèche. Comme il est ramassé pour l’effort, comme l’équilibre de son corps est rigoureux malgré la complication des lignes qui pouvaient en compromettre la solidité ! L’une des jambes violemment repliée sous lui le supporte ; l’autre est franchement étendue. La main gauche, avec une rigidité pour ainsi dire métallique, maintient l’arc dans une immobilité parfaite, tandis que la main droite pèse sur la corde et semble calculer sa tension. La fixité des appuis est si clairement accusée et la répartition des masses si habile que la divergence des lignes n’altère en rien l’unité de la figure. On sent l’archer exercé dans cette pose si savamment naturelle et dont la silhouette, quoique très accidentée, reste cependant tout à fait sculpturale.

C’est bien à Égine que les manifestations d’un art déjà si accompli devaient se produire et se développer. On sait en effet le rôle que la situation de cette île, aussi bien que les qualités propres de ses habitans, lui avaient de bonne heure assigné. Quels exemples et quels enseignemens ce petit peuple avait-il tirés de ses relations avec l’Égypte et l’Asie ? quelle fut sa part d’originalité inventive ? Il n’est point aisé de le dire. C’est là un de ces problèmes délicats qui se présentent à l’origine de toutes les apparitions de l’art. Tandis que son épanouissement est marqué chez les diverses nations par des différences profondes, ses premiers essais offrent le plus souvent des caractères nombreux de ressemblance. Est-ce l’unité même de l’esprit humain qui s’affirme ainsi dans des tâtonnemens pareils ? Est-ce au contraire une filiation directe qui, par des importations et des imitations successives, donne lieu à ces analogies ? N’est-ce pas plutôt enfin de ces deux sources réunies qu’elles dérivent naturellement ? Quoi qu’il en soit, et si grandes qu’on veuille les faire, les influences du dehors durent être bientôt modifiées chez les Éginètes par leur génie natif. Courageux dans les combats, navigateurs habiles et hardis, leur civilisation précoce nous est attestée par le renom de sagesse et de justice de leurs rois, par la gloire légitime de leurs architectes et de leurs sculpteurs. Grâce à sa souplesse et à sa vigueur, cette race d’élite remportait de nombreux