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triomphes dans les jeux publics de la Grèce, et l’importance qu’on attachait à ces victoires est assez prouvée par les chants des poètes, par les entretiens des philosophes, par les œuvres des artistes qui s’appliquaient à l’envi, les uns et les autres, à en consacrer le souvenir. Aussi les enfans, les coureurs, les athlètes, tous ceux qui aspiraient à obtenir des couronnes dans les jeux olympiques, étaient-ils soumis à des conditions spéciales d’entraînement, raisonnées en vue des buts différens qu’on pouvait se proposer, et si les artistes anciens ne pratiquaient pas les recherches anatomiques inaugurées par la renaissance, ils avaient en revanche toutes les facilités désirables pour se renseigner sur la beauté extérieure des formes et sur les modifications qu’amènent pour chacune d’elles toutes les libres expansions de la vie. Ainsi que l’a si bien fait observer M. Guillaume, « c’était surtout dans les gymnases que pouvait se faire l’éducation des sculpteurs. Là, entre les entretiens des sages, les hommes et les jeunes gens se livraient aux exercices athlétiques. Chacun d’eux, dans sa nudité sacramentelle et sous les yeux de tous, développait sa force, soit en vue d’obtenir dans son corps un équilibre général, soit pour briller dans des exercices de légèreté, de force ou d’adresse. »

C’est à une telle école que s’était formé l’art dont la Glyptothèque nous montre les précieux et presque les seuls monumens, art d’une grande puissance et d’une logique inflexible. Sans doute, la géométrie en est parfois trop apparente, la statique trop accusée et la rigidité excessive; mais, tel qu’il est, il marque un progrès immense sur les âges précédens. Il fait plus que précéder la grande époque, on peut dire qu’il l’amène. Quand, dans une petite île si voisine d’Athènes, on rencontre déjà cette parfaite connaissance du corps humain, cette vérité des mouvemens, cette entente des proportions, ce travail simple et nerveux, cet air de force et de santé, cet équilibre dans la construction des figures, cette énergie dans leur action, on comprend que Phidias pouvait venir. S’appropriant toute cette science, il allait en masquer la rigueur, lui imprimer un cachet d’aisance et de liberté, réduire à de justes limites l’accentuation de ces formes et de ces poses anguleuses, assouplir l’exécution, y mettre, avec le tact exquis des convenances, la richesse des combinaisons, unir la hauteur du style au sentiment de la vie, atteindre en tout cette mesure, cette puissance d’expression, cette beauté enfin, qui marquent la perfection de l’art. Si sa part reste assez large pour commander l’admiration, du moins il ne se présente plus à nous comme un génie isolé, naissant subitement et tout d’une pièce. Pas plus que la nature, l’art ne fait de pareils sauts. Les marbres d’Égine expliquent et font pressentir les marbres du Parthénon; c’est assez d’un tel honneur pour dire leur importance.