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nature attristante : elles ne mériteraient même pas d’être relevées si leur persistance à travers des tirages déjà nombreux ne semblait révéler comme un parti-pris d’ignorance chez une nation assez prompte cependant à s’égayer de la légèreté française.

Les œuvres des maîtres primitifs de l’Allemagne et des Flandres, réunies en grand nombre à la Pinacothèque, lui donnent une physionomie particulière et permettent de suivre, dès son début, le mouvement des échanges entre le nord et le midi et d’étudier la réciprocité de ces réactions successives. Toutefois, si importantes que soient ces œuvres, elles ne sont ni assez marquantes, ni surtout assez incontestables pour fournir sur les maîtres eux-mêmes des indications bien neuves. Elles suffisent seulement pour confirmer une opinion généralement admise aujourd’hui au sujet de l’influence exercée à l’origine par les écoles rhénanes sur l’école flamande. À cette influence, combinée avec celle des habiles enlumineurs de la cour de Bourgogne, se joignit bientôt le génie propre de maîtres tels que les Van Eyck, Memling et Rogier Van der Weyden. Ceux-ci, on l’a dit avec raison, furent des inventeurs autant dans le domaine de la pensée que dans la pratique même de la peinture. S’ils avaient en quelque manière profité du voisinage et des enseignemens de l’école allemande, ils lui rendirent bien plus qu’ils n’en avaient reçu. Après avoir, par l’originalité de leur talent et l’inconsciente audace de leurs tentatives, provoqué l’admiration des Italiens eux-mêmes, ils allaient aussi renouveler l’art germanique, qui s’était bien vite épuisé. Les écoles locales qui, pendant cette seconde période, avaient essayé de se développer à Ulm, à Augsbourg, à Cologne, n’avaient pas trouvé en effet dans ces différens centres des élémens de vitalité suffisans. Aucun lien ne les rattachait entre elles, et on pouvait croire qu’elles allaient disparaître sans avoir produit aucun artiste supérieur. Les noms de Zeitblom, de Schühlein, de Martin Schaffner et de Hans Melem ne mériteraient pas de les tirer de l’oubli où elles sont tombées aujourd’hui; mais de ce mouvement un peu confus deux hommes devaient sortir qui seraient les plus hautes et, disons-le aussi, les seules illustrations de l’art allemand : Albert Dürer et Holbein.

Des villes presque voisines les virent naître, et un court intervalle de temps sépare leurs deux naissances; mais avec le bénéfice d’une plus grande proximité de l’Italie, Holbein trouva, en venant au monde près de vingt-cinq ans après Dürer, le mouvement de la renaissance tout à fait accusé. En 1471, au contraire, à Nuremberg on pressentait à peine ce mouvement, et quand le père d’Albert Dürer, un pauvre orfèvre chargé de famille, cédant à la vocation décidée de son fils, le conduisait, âgé de quinze ans, dans l’atelier de Michel Wohlgemuth, c’étaient encore les enseignemens de l’art gothique