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travaillé ensemble, et de cette coopération, tenue secrète pendant quelques jours, sortait un projet « sur l’organisation de la législature, » qui ressemblait moins à une loi qu’à un complément de la charte. Le projet embrassait diverses parties de l’organisation publique. Il donnait à la législature le nom de « parlement de France. » Il se proposait de dégager les délibérations des assemblées des formes méticuleuses léguées par l’empire pour les rapprocher de ce qui existait dans le parlement anglais. La pairie devait être fortifiée de façon à avoir plus d’indépendance et d’autorité. Le point grave restait toujours nécessairement dans la formation de la chambre des députés, dont les membres devaient être désormais élus pour sept ans et qui serait soumise au renouvellement intégral. La nouveauté surtout était dans le fractionnement des circonscriptions électorales, dans la combinaison des collèges électoraux d’arrondissement et d’un collège supérieur de département. C’était là le point délicat, parce qu’on touchait forcément à la charte, parce qu’on remuait une fibre toujours délicate, celle de l’égalité, par l’altération de l’unité de vote; mais en même temps la compensation était dans l’accroissement de la représentation nationale élevée au chiffre de 456 députés, dans l’abaissement de l’âge de l’éligibilité, dans l’organisation plus ample et plus efficace des délibérations publiques. En un mot, s’il y avait la part faite aux intérêts conservateurs, aux préoccupations conservatrices, même aux ombrages des royalistes sensés qu’on désirait rallier, rien dans ce projet ne laissait voir un dessein de réaction; tout semblait conçu de manière à favoriser l’affermissement pratique, le progrès régulier des institutions libres. Ce n’était pas tout cependant d’avoir préparé avec art un plan qui pouvait passer pour une expression savante du libéralisme conservateur : il fallait le faire réussir, et c’est là qu’intervenait la grande combinaison ministérielle, devenue d’autant plus nécessaire que la dissidence persistante du général Dessoles, du baron Louis, du maréchal Gouvion Saint-Cyr, ne laissait plus au cabinet d’autre alternative que de tomber tout à fait ou de se relever plus fort. C’est là aussi que commençait tout un drame intime, entrecoupé, plein de péripéties, qui mettait en jeu les hommes avec leur caractère, avec leurs mobiles, et qui, à travers ces lettres publiées aujourd’hui, à soixante ans de distance, semble encore vivant.

L’idée d’un grand cabinet était le complément nécessaire et juste de l’œuvre qui se préparait. On voulait, par le dédoublement de quelques-uns des ministères, arriver à réunir avec M. Decazes et De Serre, — d’une part M. Royer-Collard, le duc de Broglie, d’un autre côté M. Pasquier, M. Roy, même M. Mollien, M. Daru, — le tout sous les auspices et la direction du duc de Richelieu. On pensait