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ait le loisir d’en prendre connaissance avant le jour où elles devront être expédiées.

« La reine pense qu’il serait très bon que lord John Russell montrât cette lettre à lord Palmerston. »


Lord John ayant dès le 13 août montré le mémorandum à son collègue, Palmerston le lut et dit sans hésiter qu’il obéirait ponctuellement aux ordres de la reine. Bien mieux ; ce n’était qu’une assurance verbale, il tint à la renouveler par écrit. Le même jour, il adressait au premier ministre une lettre commençant par ces mots : « Mon cher lord John Russell, j’ai pris copie du mémorandum de la reine, et je ne négligerai pas de me conformer aux instructions qu’il renferme. » Il s’excusait ensuite d’avoir fait ce qui lui était reproché : c’était la faute des circonstances, il n’y avait pas une heure à perdre, on n’avait pas eu le temps de faire une double expédition des actes ; bref, tout cela n’était qu’une affaire de bureaux ; un ou deux employés de plus, et tout irait à merveille. Il espérait bien que la libéralité du premier ministre ne les lui refuserait point. En même temps que ce terrible homme, devenu subitement si accommodant et si souple, donnait ces explications à lord John, il demandait une entrevue au prince Albert afin de s’excuser plus complètement encore. L’entrevue, immédiatement accordée, eut lieu le 14 août. Le prince lui-même l’a racontée très en détail quelques jours après, dans un récit daté d’Osborne que nous a conservé son historien :


Osborne, 17 août 1850.

« Le 14, après la séance du conseil pour le discours de la couronne relatif à la prorogation du parlement, j’ai vu lord Palmerston, ainsi qu’il l’avait désiré. Il était tout agité, tout tremblant, avait des larmes dans les yeux, au point que j’en ressentis moi-même une grande émotion, ne l’ayant jamais vu jusque-là que la figure sereine et souriante. Il me dit qu’après la communication à lui faite par lord John Russell, il avait jugé nécessaire d’avoir une explication avec moi.. Être en désaccord avec sa politique, la condamner même, c’était simplement condamner son jugement. En matière d’opinions, les dissidences sont naturelles et il faut bien s’y attendre. Mais l’accusation d’avoir manqué de respect à la reine, qu’il, avait toute raison de respecter comme souveraine, dont il admirait les vertus comme femme, à laquelle il était attaché par tous les liens du devoir et de la reconnaissance, une telle accusation était une atteinte à son honneur de gentleman, et, s’il s’était rendu coupable de ce manque de respect, il se serait exclu lui-même de la société.

« Je m’étais promis de ne pas l’interrompre. Quand il eut fini, je lui rappelai les plaintes, les remontrances sans nombre que la reine avait été obligée de lui adresser pendant ces dernières années. La reine était