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un point qui domine tout. En me démettant de mes fonctions, j’aurais porté à la barre de l’opinion publique une querelle entre le souverain et moi. Or, c’est là une démarche qu’un sujet doit toujours éviter quand il le peut, car les conséquences en sont toujours funestes à lui-même ou nuisibles au pays. Si c’est lui qui a tort, il est condamné sans appel ; si c’est le souverain, la royauté en souffre[1]. »


II.

Dix-huit mois se sont écoulés depuis cet épisode. C’est le 3 décembre 1851. Nous sommes à Londres, chez lord Palmerston, dans son cabinet de Downing-street. Le comte Walewski, ambassadeur de France auprès de la reine Victoria, a fait demander une audience au ministre pour l’entretenir de ce qui s’est passé la veille à Paris. Au cours de la conversation, le ministre anglais lui dit que « l’acte hardi et décisif du président lui apparaît comme une nécessité aussi avantageuse pour l’Europe que pour la France. » Était-il chargé par le gouvernement de la reine Victoria de tenir ce langage au représentant de la république française ? En aucune façon. C’était une opinion personnelle du chef du foreign office, une opinion déjà ancienne et que l’examen attentif des affaires de France. avait confirmée chez lui de jour en jour. Chose singulière, lord Palmerston, qui soutenait partout en Europe la cause de la monarchie constitutionnelle, qui faisait de cette propagande le principe de sa politique extérieure, qui avait suscité par là des hostilités si vives contre son pays, au point de s’attirer un blâme éclatant de la chambre des lords et de soulever des tempêtes à la chambre des communes, — lord Palmerston semblait tout à fait indifférent à la restauration de cette forme de gouvernement en France. On sait combien il détestait les Bourbons et particulièrement la dynastie d’Orléans. Croyait-il que la maison royale de France, la branche cadette comme la branche aînée, était incapable d’établir cette monarchie ? ou bien croyait-il que la nation française, dont il reconnaissait d’ailleurs l’esprit, l’ardeur, la noblesse, la générosité, n’avait aucune des qualités nécessaires à cette institution ? L’un et l’autre peut-être. Une chose certaine, c’est qu’il s’accoutumait parfaitement à juger nos affaires intérieures d’après un modèle tout différent des principes britanniques.

Il ne disait pas : Voici ce que doit faire Louis-Napoléon, s’il veut imiter la politique anglaise. Il disait : Voici ce que je ferais,

  1. Voyez the Life of Henry John Temple, viscount Palmerston, 1847-1865, by the hon. Evelyn Ashley, London 1870, t. Ier p. 320-330.