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On n’a pas le droit de condamner celui qui a fait le coup, si l’on ne tient pas compte de ceux qui étaient prêts à en faire un tout semblable. L’acte eût été le même, quoique tenté dans une autre vue et pour des conséquences toutes différentes. — Rien de plus juste, seulement il faut que les faits soient prouvés. Palmerston, aveuglé par sa passion, accepte sans contrôle les rapports les plus extravagans. Sa police particulière lui a dit que les princes d’Orléans, d’accord avec M. Thiers et le général Changarnier, préparaient un coup de main contre le président, que les princes étaient en route pour la frontière belge, que la levée d’armes était fixée aux premiers jours de décembre 1851. Lord Palmerston a cru tout cela sans y regarder de plus près ; voilà le coup d’état justifié, puisque le président n’a fait que prévenir une attaque. Il est vrai que les hommes qui, d’après ce rapport, s’apprêtaient à renverser la constitution de 1848 n’étaient pas liés envers elle par un serment, mais cette question du serment, si grave au point de vue de la conscience, occupait fort peu lord Palmerston ; l’audacieux homme d’état ne consultait en cette affaire que ses antipathies personnelles et ses haines nationales. Voilà pourquoi il n’hésita point. Coup de main pour coup de main, coup d’état pour coup d’état, il préférait celui du président.

On s’explique maintenant la réponse faite par lord Palmerston au comte Walewski dans cet entretien du 3 décembre 1851. Le chef du foreign office parlait d’abondance de cœur. Il était si plein de son sujet qu’il s’en ouvrit aussitôt, et dans le même sens, avec l’ambassadeur d’Angleterre à Paris. Rien ne pressait pourtant. Le ministère n’avait pas encore délibéré sur un sujet si grave. Lord John et ses collègues n’avaient pas encore arrêté le plan de conduite qu’ils devaient soumettre à l’approbation de la reine. Il semble que, sans même parler officiellement, lord Palmerston était tenu à une certaine réserve. Non, l’impatience l’emporte. La déclaration toute spontanée qu’il vient de faire à l’ambassadeur France, il va la répéter au diplomate qui représente à Paris le cabinet de Saint-James. Le 3 décembre encore (il est bon de noter ici les dates), lord Palmerston adresse à lord Normanby cette singulière missive :


« Mon cher Normanby, ici même où l’on ne saurait nous supposer aussi bien infermés qu’à Paris des projets du parti bourbonien, nous ne pouvons nous étonner que Louis-Napoléon ait frappé son coup au moment qu’il a choisi. Nous savions parfaitement que la duchesse d’Orléans s’attendait à être appelée à Paris cette semaine avec son jeune fils, afin d’y commencer une nouvelle période de la dynastie des d’Orléans. Naturellement, le président eut vent de ce qui se passait, et s’il est vrai, comme le disent nos journaux, que Changarnier ait été arrêté