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que l’on croit violée, ceux qui en parlent ainsi ne la connaissent guère, puisqu’elle n’est écrite nulle part ; les imaginations n’en sont que plus promptes à prendre feu, l’inconnu les enfièvre, et dans ces ténèbres où la passion s’agite le péril grandit d’heure en heure.

Ce péril parut si pressant pendant le mois de janvier 1854 que la reine se désolait de n’avoir pas auprès d’elle le maître-docteur in utroque jure, l’ami que le roi Léopold avait légué au prince en prévision des mauvais jours. Stockmar était retenu à Cobourg par une maladie qui lui interdisait toute espèce de travail. Écrire une lettre lui était une torture. Représentez-vous ce qu’il éprouvait lorsqu’au milieu de souffrances aiguës il recevait une missive de la reine Victoria où se trouvaient des confidences comme celles-ci : « Votre absence, au moment où nous subissons de si cruelles épreuves, où le prince est poursuivi depuis quatre semaines par les ultras des deux partis, est pour nous une calamité. Le prince méprise tout cela, mais avec son sentiment si vif et si élevé de l’honneur, il est blessé, il est atteint profondément… Sa santé m’inquiète, bien que son courage ne faiblisse pas… Les ministres me disent que la réaction sera plus forte que toutes les attaques, que la nation, aussi loyale que jamais, est seulement un peu folle… Ils disent que les choses seront expliquées au parlement d’une façon qui excitera un enthousiasme universel ; mais l’incertitude de tout cela est accablante. »

Stockmar, tout brisé qu’il fût par la maladie, se relevait pour assister le prince. Il s’attachait surtout à entretenir son courage. Le prince avait pour lui le bon sens et le bon droit ; il ne fallait pas qu’un excès de scrupule lui fît concevoir des doutes sur la légalité de sa conduite. Tant d’assauts, tant d’insultes finissent à la longue par mettre en défiance d’elles-mêmes les consciences délicates, et il arrive parfois, comme l’a dit un poète, que le plus innocent est le plus exposé au remords. Pour affermir la foi de son royal disciple, Stockmar écrivit tout un mémoire qui est regardé par d’excellens juges comme un traité magistral de droit constitutionnel. L’auteur y dépasse même la question dont il s’agissait alors, et, songeant aux dangers de l’avenir, il signale une sorte de révolution latente qui se prépare ; que deviendrait la vieille constitution anglaise, la constitution non écrite, mais, ce qui vaut mieux, consacrée par la tradition séculaire, que deviendrait ce modèle de la monarchie constitutionnelle dans le monde si les prérogatives du souverain n’étaient plus respectées ? À la place de la monarchie constitutionnelle, ce serait un gouvernement ministériel, quelque chose de bâtard qui ne serait ni une monarchie ni une république. Stockmar entend que le souverain règne et gouverne ; il soutient