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que le souverain a son droit, sa volonté, son action, sans annuler pour cela ni le droit, ni la volonté, ni l’action du parlement. L’esprit de la constitution le commande. Le roi, dit-il, est le premier ministre permanent ; c’est le point fixe au milieu des changemens de la pensée publique, le centre inébranlable autour duquel s’accomplissent les évolutions de la vie parlementaire. Puis, revenant à la question spéciale qui agite le pays, il termine par ces mots : « Si les ministres ont l’intention de montrer la perversité, la folie des attaques dirigées contre le prince, ils y réussiront sans peine en faisant toucher du doigt ce fait, que la nature préexiste à la constitution. Après cela, ils demanderont au pays de considérer si une princesse qui ferait fi de ses devoirs de femme et de mère pourrait être une bonne reine, s’il serait juste par conséquent d’exiger que la reine destitue son époux de la position que ce titre lui assigne pour lui en donner une qui serait funeste à la confiance intime et réciproque de l’état de mariage. »

Ce mémoire, signalé très justement comme un modèle de raison pratique et de hautes vues constitutionnelles, renferme bien des choses qui nous étonnent. On est tenté de se demander si ces craintes d’une collision possible entre le parlement et le souverain, si cette annonce presque formelle d’une révolution qui se fait sans bruit dans l’ombre, et qui, un beau jour, avant qu’on ait le temps d’y voir clair, substituera une manière de république, sous le titre de gouvernement ministériel, à la vieille monarchie libérale, — on est tenté, dis-je, de se demander si ces craintes ne sont pas les visions d’une âme troublée. Nous sommes tellement accoutumés à regarder les Anglais comme le l’abri de tout danger révolutionnaire, grâce le leur loyauté monarchique ! Pour justifier les paroles de Stockmar, il suffit de lire la réponse du prince à la longue lettre de son ami. On y voit combien les passions étaient surexcitées en ce mois de janvier 1854, à l’approche de l’ouverture du parlement, et quelles étranges rumeurs circulaient dans la foule. Après avoir rappelé tout ce qui s’est passé, les causes diverses de ce soulèvement, les perfidies de Palmerston, les colères intéressées, les intrigues, les mensonges, le prince conclut en ces termes :


« Un seul mot encore sur la crédulité du public. Vous aurez peine à y ajouter foi : le bruit de mon incarcération à la Tour de Londres a couru dans tout le pays ; bien plus, on a dit, on a cru que la reine avait été arrêtée ! des milliers de gens se pressaient aux abords de la prison pour nous y voir amenés. D’autre part, on m’apprend qu’à Manchester, où Bright, Cobden, Gibson, Wilson, tenaient leur meeting annuel, ils firent bon marché de tous ces bruits et rirent de toutes ces accusations. Tout