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avec l’appui cordial de lord John et la haute bienveillance de sa majesté. Quelques mois après, la reine et le prince venaient de rendre à l’empereur et à l’impératrice des Français la visite que leurs augustes hôtes leur avaient faite au mois d’avril précédent. L’accueil fait par la France à la reine Victoria en ces journées d’août 1855 avait répondu aux démonstrations enthousiastes qui, du 16 au 21 avril, avaient salué l’allié de l’Angleterre sur le sol britannique. À la suite de ce voyage, un ami intime du premier ministre, M. le colonel Kemeys Tynte, membre du parlement, s’empressa de lui porter ses félicitations. « Je me rappelle, dit-il, qu’en le félicitant du succès si complet du voyage de la reine, je ne pus m’empêcher de remarquer combien l’empereur était un homme extraordinaire. — Oui, répondit Palmerston, mais nous en avons un chez nous bien plus grand, bien plus extraordinaire encore. — Il fit une pause. — Le prince consort ? lui dis-je. — Oui, certainement, reprit-il. Le prince ne voudrait pas sans doute avoir gagné un trône comme l’empereur a gagné le sien. On ne saurait donc les comparer au point de vue de l’action ; mais, si l’on regarde à la justesse du jugement, à l’élévation de l’intelligence, à l’ardeur des qualités de l’esprit, il est de beaucoup supérieur à l’empereur. Jusqu’au jour où ma position présente m’a donné tant d’occasions de voir son altesse royale, je ne soupçonnais pas qu’il possédât de si éminentes qualités, je ne soupçonnais pas combien il est heureux pour le pays que la reine ait épousé un tel prince. »

C’est à l’historien du prince Albert que M. le colonel Kemeys Tynte rapportait, il y a deux ans, cette conversation avec lord Palmerston. Nous n’en retenons ici que ce qui intéresse notre sujet. On y voit que l’ardent ministre, assuré d’avoir servi son pays en préparant à sa manière l’alliance de l’Angleterre et de la France, s’attache principalement à honorer le mari de la reine. La réconciliation est complète. Lord Palmerston pourra perdre et reconquérir son poste de premier ministre suivant les vicissitudes parlementaires ; quoi qu’il arrive, les hostilités sont à jamais finies. C’est lui qui avait engagé la question du prince Albert, c’était à lui d’y prononcer le dernier mot.


SAINT-RENE TAILLANDIER.