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appartemens au-dessus d’un certain prix. Est-ce le locataire riche que vous atteignez? Pas le moins du monde. Celui-ci défalquera l’impôt du prix qu’il veut mettre à son loyer; il offrira 9,500 francs de l’appartement qu’il aurait consenti à payer 10,000 francs sans cette surcharge. Vous n’atteindrez pas davantage le propriétaire, car, si les appartemens de luxe sont frappés outre mesure, on en diminuera le nombre, et ceux qui voudront les avoir seront obligés de les payer d’autant plus cher. Qui donc aurez vous atteint? Vous aurez atteint l’industrie du bâtiment, empêché qu’on construise beaucoup de belles maisons, vous aurez frappé le maçon, le menuisier, le serrurier, etc.. La franchise d’impôts que vous accordez aux uns, la surcharge dont vous grevez les autres ne vont pas du tout à leur adresse, et ont des inconvéniens économiques que vous n’avez pas prévus. Il en est de même quand on impose spécialement les bénéfices du marchand ou de l’industriel. On croit n’atteindre que ce qu’il peut y avoir de trop élevé dans ces bénéfices, opérer un retranchement sur le luxe; on oublie que, dans une situation économique régulière, le marchand, l’industriel, font les bénéfices qu’ils doivent faire eu égard à la concurrence et aux conditions générales du marché. Si vous leur retranchez quelque chose par l’impôt, ils le compenseront en élevant leurs prix, et cette élévation des prix peut avoir pour résultat d’arrêter la consommation; alors on produira moins, il y aura moins de travail, et les salaires baisseront; vous aviez cru frapper les bénéfices, et ce sont les salaires qui se trouveront encore atteints.

Du reste c’est une remarque qui a déjà été faite par Ricardo et qui est fort juste : « il est indifférent, a-t-il dit, que vous imposiez les bénéfices ou les salaires, le résultat est toujours le même. Vous augmenteriez la contribution foncière qu’il n’y aurait encore pas de changement. Le revenu de la terre comme celui de toutes les propriétés et des capitaux placés est fixé par les conditions générales du marché, que l’impôt peut troubler momentanément, mais qu’il ne peut changer au fond. Il faudra toujours que le propriétaire retrouve la compensation de l’impôt; il élèvera le loyer de la terre, et cette élévation du loyer retombera sur qui? Non sur le fermier, qui lui aussi doit obtenir la rémunération légitime de son travail: elle entrera dans les frais de revient des produits du sol et retombera sur le consommateur. On n’aura frappé qu’en apparence ceux qui ont été appelés à payer l’impôt les premiers.

On a cru faire merveille, il y a quelques années, en établissant un impôt sur le revenu des valeurs mobilières, impôt qui n’avait pas existé jusqu’alors; on s’est dit que, ces valeurs faisant partie de la richesse publique comme les terres et les maisons, il n’y avait pas de raison de les exempter plus longtemps de toute contribution