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tout en surface, n’offre pas de saillies accusées, et, difficilement pénétrable, dérobe, sous la perfection du résultat, le jeu de son activité. En outre, Fromentin a peu écrit, et la littérature ne fut pour lui, à une seule exception près, qu’un complément de ses travaux pittoresques ou un commentaire des choses propres à l’art qui le réclamait. Il convient donc de parler de lui sobrement; mais, s’il est vrai que le meilleur moyen de louer un homme est de le louer par l’emploi de ses qualités mêmes, il faudrait que cette sobriété fût irréprochable d’exactitude. Quelques touches seulement, mais scrupuleusement justes, voilà ce que demande la figure de cet homme marqué au bon coin jusque dans ses délicats défauts.

Il est une déception que nous avons souvent entendu exprimer par les personnes du monde, et que pour notre part nous n’avons jamais éprouvée, celle de trouver les écrivains et les artistes si dissemblables de leurs œuvres et si différens de ce qu’on les avait rêvés. Ce qui nous a toujours étonné au contraire, c’est de les trouver en si parfaite harmonie, non-seulement avec le sentiment que donnent leurs œuvres de leur nature morale, mais avec l’image physique même que l’on se forme de leurs personnes en lisant ou en contemplant les produits de leur intelligence. Si c’est là une illusion de notre part, Eugène Fromentin n’était pas pour lui donner le démenti. Nous l’avons connu, trop peu à notre gré, assez cependant pour nous permettre d’être certain que, si jamais homme ne fit qu’un avec ses œuvres, c’était lui. Si le mot de distinction n’avait été déjà inventé, il aurait dû l’être pour lui, tant ce mot est le seul qui rende avec vérité l’ensemble de qualités charmantes qui constituait son être moral. Tout était rare en lui, l’esprit, les vues le jugement, le tour et le ton du discours, le choix des mots, les manières et les gestes. Comme sa peinture est sans épaisseur et sa littérature sans pesanteur, sa personne physique était fine, fluette et délicate, mais cette finesse n’avait rien de mince et cette délicatesse rien de mièvre. Aucune désagréable marque professionnelle n’avertissait en lui du métier, n’y ramenait brutalement la pensée, pas plus qu’aucun faux ton d’homme du monde n’essayait de dissimuler ou d’effacer en lui l’homme de travail. Il causait bien et volontiers, avec une abondance brillante, sans aucune de ces hésitations ou de ces insistances qui trahissent un effort pénible de l’esprit pour traduire la pensée, nous dirions presque sans surcharges et sans ratures, tant sa causerie se rapprochait parfois du langage écrit par la précision des termes et l’heureux tri des mots. Un geste vif, divers selon les sujets, mais toujours mesuré avec élégance, accompagnait ses paroles sans les souligner; rien chez lui de cette pantomime hyperbolique, souvent amusante, mais plus souvent encore grimaçante ou désordonnée, qui distingue d’ordinaire