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ses belles facultés. Dans l’inspiration de la plupart des grands artistes, il y a presque toujours un élément que l’on peut dire impersonnel, qui s’est trouvé mêlé fatalement à leur nature sans qu’elle pût s’en défendre ou songeât à s’y soustraire, quelque question d’origine, quelque génie de famille qui, las d’errer indécis dans le sang des générations successives, a voulu à un jour donné se reconnaître et se fixer, — plus souvent encore quelque influence souveraine d’éducation ou de paysage ambiant qui, saisissant l’âme à l’heure où elle est toute malléable, l’a pétrie à sa guise, ou gravée d’une de ces impressions premières qui ne s’effacent jamais, ou heurtée d’un de ces chocs impérieux qui la mettent en mouvement et décident de sa direction pour la vie. On n’aperçoit chez Fromentin l’action d’aucun élément de ce genre. Pour ne parler que de celle de ces influences qui se rencontre le plus ordinairement, ce n’est pas à coup sûr au pays où il a passé son enfance et son adolescence qu’il faut demander le secret de la brillante carrière qu’il a parcourue. Si jamais génie d’artiste a été en désaccord avec le caractère de sa province natale, c’est bien celui de Fromentin. Vous seriez-vous jamais douté qu’il fût enfant de La Rochelle, et, si vous aviez eu à choisir la terre natale de cet enthousiaste de la lumière, ne l’auriez-vous pas placée dans quelque coin de ces provinces qui sont comme une initiation à l’Orient plutôt que dans cette ville à l’aspect robuste, viril et sans élégance d’aucune sorte, assise au bord d’une mer triste et grise, environnée de plaines monotones, d’étendues plates et nues, arides au regard ? Ces campagnes sans charme et ces horizons sans beauté, il les a décrits un jour pourtant dans son roman de Dominique ; mais, en dépit de son habileté descriptive, et quelque soin qu’il ait pris pour en parer l’indigence, il ressort en toute évidence que ce n’est pas dans ce paysage stérile qu’il faut chercher la préface de ses éblouissantes peintures du Sahara et du Sahel. Son intelligence semble donc être arrivée à parfaite éclosion vierge de toute empreinte profonde, et si quelques influences ont eu action sur elle, ç’a été dans l’âge où elles sont acceptées, mais non subies, choisies librement, mais non imposées par la tyrannie des circonstances.

C’est par là que s’expliquent quelques-unes des qualités et aussi quelques-uns des défauts de Fromentin, par exemple son éclectisme, et aussi sa virtuosité, ou si vous l’aimez mieux, son dilettantisme. Fromentin fut éclectique, comment ne l’aurait-il pas été ? N’ayant subi aucune contrainte première, il n’avait contracté prématurément aucune habitude d’esprit, reçu aucun pli, conçu aucune prévention, et il entra dans le monde de l’art pur de préjugés et exempt de parti-pris. N’ayant en lui rien de ce qui fait les systématiques, sa nature allait d’elle-même à l’impartialité. Son éclectisme fut des