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plus sagaces et des plus rusés, cherchant bien moins à combiner les qualités opposées qu’il voyait rayonner chez les représentans des écoles rivales qu’à éviter les erreurs dans lesquelles il voyait qu’ils étaient tombés. Cependant l’impartialité même a ses désavantages, et Fromentin ne fut pas sans les ressentir. A trop embrasser, l’âme s’émiette et perd de son unité et de sa force de direction, la satisfaction de tout comprendre tourne en dilettantisme, le plaisir de tout expliquer tourne en virtuosité. Et puis c’est une question que de savoir lequel vaut le mieux pour le talent, d’un violent parti-pris, dût-il même dégénérer en préjugés, ou d’une neutralité judicieuse; la seule réponse que nous y voulions faire pour l’instant est de dire que cela dépend des natures. Le parti-pris aveugle est une manière de religion qui peut créer des artistes croyans et convient aux hommes de tempérament ; l’impartialité est une réelle philosophie qui convient à l’homme d’esprit et au critique, et Fromentin fut l’un et l’autre à un degré éminent. Heureux les rares génies qui n’ont besoin ni de parti-pris aveugle pour créer, ni d’impartialité laborieusement acquise pour comprendre, mais qui vont d’eux-mêmes se placer dans l’harmonie et la lumière par la plénitude et l’équilibre de leurs dons !

Des influences acceptées librement par Fromentin, la plus considérable à coup sûr fut celle de l’école littéraire qui régnait en souveraine et dont les arrêts faisaient loi pour les jeunes générations à l’époque où, désertant la procédure, il entra dans l’atelier de Cabat. Fromentin fut un romantique de la dernière heure, à l’époque où le romantisme, d’église militante qu’il avait été jusqu’alors, venait de passer à l’état d’église triomphante. Nous nous rappelons encore l’impression que produisait alors l’école romantique sur les nouveaux venus à la vie de l’esprit. C’était comme entrer dans un temple au moment où le service religieux vient à peine de s’achever; l’église, tout à l’heure si bruyante d’hymnes, est maintenant dépeuplée; seuls quelques fidèles se sont attardés à prier dans les chapelles, mais les derniers cierges brûlent sur l’autel, les guirlandes restent suspendues autour des colonnes, et l’odeur de l’encens emplit l’enceinte silencieuse. Quoique achevé, l’office continue pour ainsi dire par ses parfums et ses couleurs, et à ces vestiges les émotions de la piété peuvent encore s’éveiller. Telle l’école romantique entre les années 1840 et 1848, où Fromentin faisait ses débuts dans l’art avant de les faire dans la littérature. Les jours des luttes fiévreuses étaient passés, mais on se montrait avec une curiosité envieuse les combattans des vaillantes soirées d’Hernani et de Marion Delorme, et l’air était tout sonore de la grande symphonie poétique que tant d’illustres artistes avaient exécutée pendant quinze ans. Quelque chose de l’ivresse de la veille se prolongeait dans le lendemain