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tout vibrant de si récens souvenirs ; l’enthousiasme était donc encore possible, mais avec une mesure de recueillement que n’avait pas comporté la période de luttes précédente et qui permettait aux nouveaux prosélytes de ne prendre des doctrines de l’école que ce qu’ils en pouvaient accepter. Cet enthousiasme assagi de critique était certainement celui qui convenait le mieux à la nature de Fromentin à la fois brillante et prudente, et nul doute que c’est celui-là seul que le romantisme lui a fait ressentir.

Il a fait plus que ressentir de l’enthousiasme pour le romantisme, il a pris leçons à son école, et c’est par lui qu’il a été initié à l’art d’écrire. On n’oserait trop dire quels ont été en peinture les maîtres véritables de Fromentin, tant ils semblent avoir été nombreux, et tant il a pris de soins pour effacer de ses œuvres les traces de ses études afin d’éviter d’être reconnu trop aisément comme disciple de quelqu’un ; mais nous pouvons sans peine nommer le modèle dont il s’est inspiré en littérature. A l’époque des débuts de Fromentin, Théophile Gautier, sorti lui aussi des ateliers de peinture, travaillait à réaliser cette littérature pittoresque dont il avait conçu la pensée en maniant la brosse et le pinceau, et ses premiers récits de voyages, où les mots prenaient la valeur de nuances et les phrases la valeur de tons, faisaient l’émerveillement de tous les jeunes artistes et de tous les jeunes écrivains. Cette tentative de parler à l’esprit par le moyen des mots comme les couleurs parlent aux yeux avait de quoi séduire un peintre ambitieux d’écrire, et Fromentin ne chercha pas d’autre méthode lorsqu’après un séjour répété en Algérie, il éprouva le besoin de traduire par la parole les impressions ressenties sur la terre d’Afrique. L’initié, comme il arrive souvent, a-t-il, en cette circonstance, surpassé l’initiateur? C’est affaire de goût personnel, et il est possible que, pour beaucoup, Théophile Gautier conserve la supériorité sur son émule. Les tableaux de voyages de Théophile Gautier ont peut-être plus de liberté; mais le peintre n’est pas parvenu à si bien y discipliner le littérateur que celui-ci ne s’y échappe en saillies nombreuses, et les dissonances y sont ainsi très fréquentes. Chez Fromentin, au contraire, le peintre n’a eu aucune peine à soumettre le littérateur. Entre ses mains, la plume continue l’office du pinceau, le lexique l’office de la palette, et les deux arts rivaux ont été ramenés, en dépit de la diversité de leurs moyens, à une unité si étroite qu’elle en est voisine de l’identité.

On voit par là combien Fromentin mérite peu l’éloge de n’avoir pas mis de peinture dans sa Littérature, qui lui a été donné par un critique éminent. Tout au contraire, Fromentin a mis le plus de peinture qu’il a pu dans sa littérature, non-seulement par habitude de métier, mais de parti-pris, avec une hardiesse judicieuse,