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adorées par routine, pour saper les superstitions de l’admiration traditionnelle, surtout pour faire le tri dans les œuvres des grands maîtres, pour en séparer les parties faibles ou médiocres des parties sérieusement et inattaquablement belles. Le chapitre sur Rubens portraitiste est merveilleux de sagacité, mais quel autre qu’un artiste du mérite de Fromentin aurait osé l’écrire, et aurait espéré d’être cru en venant affirmer, — ce qui est pourtant la vérité pure, — qu’aussi grand peintre que soit Rubens, il est absolument médiocre dans le portrait, sauf lorsque son cœur s’intéresse au modèle qui pose devant lui, ou bien que son imagination s’est éprise de quelque personnage de grand air et de noble mine? Le chapitre sur Frantz Hals est à l’avenant du chapitre sur Rubens portraitiste; mais qui donc n’ayant pas la longue expérience de l’atelier aurait eu un tact assez exercé pour noter, numéro après numéro, dans l’œuvre si considérable de ce maître praticien les incertitudes des premières années, les traces d’improvisation des toiles de la maturité, les marques de défaillance de son déclin si vigoureux qu’il ressemble à la pleine force de beaucoup d’autres? Eugène Fromentin s’arrête devant la Ronde de nuit, et dit tout net : Ce prétendu chef-d’œuvre est un mauvais tableau; bien d’autres certainement Tout senti et même insinué avant lui, mais lequel parmi ceux-là aurait pu appuyer son opinion d’une telle abondance de preuves et la faire excuser par une telle plénitude de savoir? Le Taureau de Paul Potter vaut sa réputation, mais pour la figure du taureau seulement, nous dit-il; vous qui n’êtes pas du métier, peut-être demanderez-vous grâce pour les autres parties du tableau par des raisons de sentiment; tout ce que vous voudrez, vous répond-il, seulement ces parties sont mal peintes. Le sentiment, la philosophie, les aperçus historiques, tout cela abonde cependant dans le livre de Fromentin, mais jamais l’homme de métier ne se laisse attendrir par l’homme de sentiment ou influencer par le philosophe. Je ne sache pas qu’on ait écrit un autre livre de critique d’art où la compétence du juge s’impose avec une pareille souveraineté. Je ne sache pas non plus qu’on en ait écrit un autre où les questions de métier dominent à un tel point sans que l’éloquence et le charme y perdent rien. Ces choses de l’atelier et de la technique de l’art, qui pour les non initiés sont d’ordinaire singulièrement arides et presque rebutantes, sont ici discutées, résolues et enlevées avec une telle verve que l’œuvre en est presque paradoxale. C’est la première fois qu’une dissertation en toutes règles sur le bon ou le mauvais coloris d’un tableau intéresse à l’égal d’une exposition de doctrine philosophique ou émeut à l’égal d’un thème d’histoire éloquemment traité.

La forme du livre en vaut le fond. L’exécution, a-t-on dit, en