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LA VIE ET L’ŒUVRE DE CERVANTES.

donna douze soldats à commander et lui assigna son poste de combat devant d’esquif ; c’est, je crois, dans une galère, le milieu du bâtiment.

La Marquesa prit une part glorieuse à la bataille. Elle s’attaqua à un des plus forts vaisseaux de la flotte ottomane, la galère capitane d’Alexandrie, et, après un engagement long et meurtrier, l’obligea d’amener son pavillon. Cervantes reçut trois coups de feu ; deux dans la poitrine, amortis probablement par la cuirasse ou le buffle que portaient alors les soldats d’infanterie. La dernière blessure, la plus grave, lui fracassa la main gauche et l’estropia pour le reste de sa vie. Dans une pièce de vers dont nous aurons à reparler bientôt, il décrit ainsi ses impressions pendant cette terrible journée :

« D’une main je serrais mon épée, de l’autre coulait mon sang ; dans ma poitrine je sentais une profonde blessure, et ma main gauche était fracassée en mille pièces ; mais si grande était la joie que ressentit mon âme à voir l’infidèle vaincu par le chrétien que je ne m’apercevais pas de mes blessures ; pourtant mortelle était mon angoisse, et parfois elle me priva de sentiment. » Nous avons traduit aussi littéralement qu’il nous a été possible. Les vers sont mal faits et embarrassés ; mais la pensée est noble, vraie et digne de Cervantes.

Après la bataille, la Marquesa, de même que tous les autres bâtimens de la flotte, fut visitée par don Juan d’Autriche, qui venait remercier les vainqueurs et porter des secours et des consolations aux blessés. Il complimenta Cervantes et augmenta sa paie de trois ou quatre ducats. C’était alors la seule récompense accordée aux soldats. Peu de temps après, les blessés ayant été débarqués à Messine, Cervantes reçut, le 23 janvier 1572, une gratification de 20 ducats, et à Palerme, le 17 mars de la même année, un autre cadeau de 22 ducats. Pendant sept mois, il demeura en Sicile dans les hôpitaux, pour guérir ses blessures et la fièvre, qui ne l’avait pas quitté. Aussitôt après son rétablissement, il fut incorporé dans le tercio de don Lope de Figueroa, compagnie de don Manuel Ponce de Léon, et prit part à l’expédition dirigée par don Juan d’Autriche contre Tunis, en 1573. Après la prise de cette ville, le régiment de Figueroa revint en Italie et tint garnison successivement à Gênes, Florence, Palerme, Ferrare, Parme, Milan et Naples. « Pendant plus d’une année, ô Naples, j’ai foulé ton pavé, » dit Cervantes dans son Voyage au Parnasse.

Vers la fin de l’année 1575, il obtint la permission de repasser en Espagne pour y solliciter de l’avancement. Porteur des certificats les plus honorables et de lettres de don Juan d’Autriche et du duc de Sesa, qui demandaient pour lui une compagnie d’infanterie,