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grands armemens avec plus de bruit que d’effet. Le duc de Medina Sidonia eut ordre de rassembler une armée ; un certain capitaine Becerra fut chargé d’instruire les recrues. Seulement l’argent, les armes manquaient, et aussi un peu l’ardeur guerrière parmi les Andalous. Ce fut à cette occasion que Cervantes fit le sonnet suivant :

« En juillet nous avons vu une autre semaine sainte, attestée par certaines confréries, appelées compagnies par les soldats, lesquelles font peur au vulgaire, mais non à l’Anglais.

« Il y eut tant de plumes au vent qu’en moins de quatorze en quinze jours Pygmées et Goliaths s’envolèrent, et l’édifice croula sur sa base.

« Le Becerro[1] rugit et les embrocha ; la terre tonna, le ciel s’obscurcit, la fin du monde allait venir.

« Enfin, dans Cadix, avec prudente lenteur, le comte d’Essex étant parti sans se presser, on vit l’entrée triomphante du grand-duc de Medina Sidonia. »

Ce n’est pas sans une certaine satisfaction de vengeance assouvie qu’on lit dans l’histoire du xvie siècle les humiliations que subit Philippe II dans ses derniers jours. On aime à se représenter le despote qui avait rêvé l’asservissement des Provinces-Unies et de l’Angleterre, apprenant que sa flotte invincible est brûlée par les hérétiques, qu’un de ses meilleurs ports est pris presque sans combat, et que, par suite de sa détestable administration, il ne trouve ni armes, ni soldats pour le venger ; enfin que ses propres sujets rient de ses misères, au lieu de frémir d’indignation aux revers de la patrie.

Un sentiment du même genre peut être surpris, à ce que nous croyons, dans un autre sonnet de Cervantes, composé deux ans plus tard, à l’occasion de la mort de Philippe II (13 septembre 1598). On lui fit des obsèques magnifiques dans toutes les villes d’Espagne, et particulièrement à Séville. Le catafalque élevé dans la cathédrale passait pour une merveille, et tout le monde accourait pour le voir plutôt que de réciter des prières à l’adresse du défunt. À dire vrai, un règne si long et si pesant ne laissait guère de regrets. Pour l’intelligence du sonnet, nous devons ajouter qu’aux yeux des Castillans et des Espagnols du nord, les Andalous, et surtout les Sévillans, sont ce que sont les Gascons pour les Parisiens ou les Normands. Séville est la patrie des faiseurs de bons mots, des hâbleurs, des fanfarons. Là, depuis le crocheteur jusqu’au gentilhomme, c’est un assaut perpétuel de quolibets, de facéties et de rodomontades. Brantôme en a fait un livre qu’il a eu le tort d’intituler Rodomontades hespaignolles ; c’est andalouses, qu’il aurait dû

  1. Becerro, veau marin.