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LA VIE ET L’ŒUVRE DE CERVANTES.

pieds de votre excellence, et peut-être que la joie de la revoir en bonne santé, de retour en Espagne, me rendrait à la vie. Mais s’il est décrété que je doive mourir, la volonté du ciel s’accomplisse ! Que du moins votre excellence connaisse mes vœux ; qu’elle sache qu’elle perd en moi un serviteur dévoué, qui aurait voulu lui prouver son attachement même au-delà de la mort. Cependant, comme en prophétie, je me réjouis de l’arrivée de votre excellence. Je vois le peuple saluant votre retour avec joie. Je vois s’accomplir les espérances que m’avait fait concevoir la renommée de vos bontés. J’ai encore sur la conscience quelques fragmens des Semaines du Jardin et du Grand Bernard. Si par aventure, ou plutôt par miracle, le ciel me donne la vie, votre excellence verra ces ouvrages avec la fin de la Galatée, à laquelle je sais que votre excellence s’intéresse.

« Sur quoi je prie Dieu de conserver votre excellence comme il le peut.

« Madrid, 19 avril 1618. »

Cervantes n’assista pas au retour de son protecteur. Il mourut le 23 avril 1616, le jour même où l’Angleterre perdait Shakspeare, selon l’opinion la plus accréditée.

Il fut enterré dans l’église des religieuses de la Trinité, où deux ans auparavant sa fille naturelle avait pris le voile. On a vainement cherché le lieu précis de sa sépulture, et d’abord en procédant d’après une indication fausse, dans la calle del Humilladero, où pendant quelque temps en effet a existé le couvent de la Trinité. Plus tard, on a reconnu que les religieuses de la Trinité, qui en 1612 s’étaient établies rue Cantarranas, aujourd’hui rue Lope de Vega, ne la quittèrent qu’en 1639 pour la calle del Hamilladero, d’où, au bout de deux ans, elles reprirent leur premier domicile. Malheureusement, il y a eu dans cette rue tant de maisons démolies et reconstruites, l’emplacement occupé autrefois par l’église des dames de la Trinité a subi tant de changemens, et les sépultures surtout ont été déplacées si souvent, qu’il faut renoncer à l’espoir de retrouver les restes de Cervantes, qui ne paraissent pas d’ailleurs avoir jamais été renfermés dans un tombeau portant une inscription. Telles sont les conclusions d’un excellent travail que l’on doit à M. le marquis de Molins, chargé par l’Académie espagnole de rechercher la sépulture de Cervantes.

Une maison de la calle del Leon, au coin de la rue de Francos (cette dernière rue porte aujourd’hui le nom de calle de Cervantes), a été pendant longtemps célèbre, comme la demeure de l’auteur du Don Quichotte. En 1833, on a jeté par terre l’ancienne maison du coin de la calle de Francos pour élever un bâtiment nouveau. Le roi Ferdinand VII avait voulu acheter ce terrain pour y établir une es-