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étroite tutelle du centre excentrique de l’empire. L’énormité des distances, les rigueurs du climat, la diversité des races et des mœurs, n’en ont pu complètement affranchir les solitudes de la Sibérie, ni même les steppes du Turkestan à peine conquis et séparé de la Russie par des déserts plus difficiles à franchir que les mers. Le royaume de Pologne, dépouillé petit à petit des derniers restes de son autonomie, n’est plus qu’une province frontière, une Oukraine russe, gouvernée et administrée des chancelleries de Saint-Pétersbourg. Les provinces à demi germanisées de la Baltique perdent un à un leurs privilèges séculaires; la centralisation étend partout ses bras et promène son niveau uniforme jusqu’aux confins de l’empire. Ni l’éloignement, ni les traditions historiques ou les différences de nationalité ne bornent cette domination de la bureaucratie pétersbourgeoise ; les infiniment petits, les communes rurales sont, grâce à leur petitesse même, seules un peu à couvert de cette tutelle universelle[1].

Bien qu’atténuée par les dernières réformes, cette centralisation russe est encore d’une rigueur, d’une minutie excessives. Dans les plus insignifiantes comme dans les plus grandes choses, c’est le pouvoir central qui commande, qui défend, qui permet. L’autorisation des ministres, l’approbation du conseil de l’empire, le nom et la signature de l’empereur figurent dans les plus minces affaires. Comme en France, comme en tout pays centralisé, le gouvernement est censé posséder le don d’omniscience et le don d’ubiquité; aucun détail ne lui doit échapper. Les actes de la bienfaisance privée lui sont soumis comme le reste. D’une extrémité de l’empire à l’autre, on ne peut fonder une bourse dans une école, un lit dans un hôpital, sans l’intervention solennellement enregistrée de l’état et de l’empereur. Le Messager officiel et le Bulletin des lois sont journellement remplis de mentions de ce genre : « Le 15 mai, sa majesté l’empereur a daigné accorder son assentiment à la création dans les hospices de la ville de Nijni-Novgorod de quatre lits destinés à des vieillards au moyen d’un capital de 6,300 roubles légués par Mme Catherine D..., veuve du général D... Le même jour, sa majesté a daigné accorder son assentiment à la création 1° d’une bourse au premier gymnase de Kazan, au capital de 5,000 roubles légués par la veuve du conseiller de cour P...; 2° d’une bourse à l’école de garçons de P..., au moyen d’un capital de 300 roubles pris sur les recettes de cette localité; 3° d’une bourse au gymnase des jeunes filles de Théodosie (Crimée), au moyen de deux billets de l’emprunt intérieur à primes, offerts par le vice-amiral S..., en

  1. Le grand-duché de Finlande, qui est moins une province russe qu’un état annexé de l’empire, conserve une administration indépendante.