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district, était, depuis Catherine II, nommé par la noblesse. Ces commissaires élus n’en avaient pas meilleure réputation, ils passaient rarement pour incorruptibles et étaient suspects de partialité ou de faiblesse vis-à-vis des plus influens de leurs électeurs. Après l’émancipation des serfs, on ne pouvait laisser à une seule classe de la nation le choix de fonctionnaires mis par leurs fonctions en contact incessant avec toutes les classes. La nomination de l’ispravnik a été remise au gouverneur, les habitans y ont perdu une garantie plus illusoire que réelle. La police était jadis un des ressorts où les exactions et les abus de toute sorte étaient le plus fréquens parce qu’ils étaient le plus faciles. L’amélioration est grande aujourd’hui. Dans les villes, dans les capitales surtout, là où elle agit sous les regards de ses chefs, la police laisse peu à désirer. Depuis l’administration du général Trépof, Pétersbourg en particulier n’a plus, sons ce rapport, rien à envier à aucune capitale étrangère. Dans les petites villes, dans les campagnes, là où tout contrôle et tout recours sont malaisés, la police n’est pas encore à l’abri de tout reproche. Les paysans, les ouvriers, les petites gens, ont parfois à souffrir de l’arbitraire ou de la cupidité de l’ispravnik et de ses subordonnés. Dans un pays aussi vaste, il est naturellement difficile d’entretenir partout une bonne police. L’on ne peut sur ce point s’en fier entièrement aux communes de paysans; aussi certains grands propriétaires ont-ils tiré de là parti pour réclamer un droit de police domaniale qui leur rendrait pratiquement une des principales prérogatives dont les a dépouillés l’émancipation[1].

Aujourd’hui, comme au temps du servage, le contrôle de la police ordinaire s’exerce particulièrement au moyen des passeports. Le passeport conserve en Russie une importance qu’il n’a peut-être jamais eue en aucun pays de l’Occident; au dedans comme au dehors de l’empire, il rappelle sans cesse aux sujets du tsar la jalouse tutelle de l’administration. En Russie, le passeport sert au contrôle du fisc en même temps qu’à celui de la police. Avant l’émancipation, c’était un collier qui, en dehors du village seigneurial, ne quittait jamais le cou du serf, et portait en lettres authentiques le nom du maître. En devenant libres, les mougiks sont demeurés solidairement assujettis à l’impôt, et, à ce titre, l’état et le fisc

  1. La réforme de la police a été mise à l’étude dans les deux dernières années; je ne sais même si l’organisation projetée n’est pas en voie d’application. L’on devait diminuer le nombre des commissaires ou agens de police dans les villes pour les augmenter ou les disséminer dans les campagnes, qui souvent aujourd’hui restent sans surveillance. Il était aussi question d’une garde de police devant servir à pied et à cheval et rappelant notre gendarmerie française.