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ici, dans trois paysages, les grasses campagnes qui avoisinent son château de Steen. Après l’orage est le meilleur des trois, celui que son éclatante coloration rend le plus saisissant. C’est l’été dans toute sa force; l’or des moissons tranche vivement sur la prairie, dont la pluie vient de raviver la verdure, et la cime des arbres, déjà éclairée par une tiède lumière, se détache en clair sur les nuages encore assombris où l’arc-en-ciel dessine sa grande courbe. Que ne voit-on pas dans ce tableau ! Des chariots qu’on emmène, du foin ou des gerbes de blé qu’on décharge et qu’on met en meules, des villageois quittant leur abri pour regagner leur travail; au premier plan, dans une flaque d’eau, un troupeau de vaches, et parmi les roseaux et les nénufars, une bande de canards qui frétillent et barbotent à qui mieux; où que le regard se porte, la vie, le mouvement sont répandus à foison, et l’activité de l’homme se mêle et s’ajoute à l’activité féconde de la nature. Et ce n’est pas là seulement une indication sommaire, quelque chose comme ces fonds que le peintre de figure improvise en quelques traits; c’est l’œuvre d’un vrai paysagiste, d’un homme dont l’école moderne des paysagistes anglais s’est manifestement inspirée et à qui il conviendrait par conséquent de rattacher la filiation de notre propre école.

Mais ce n’est pas assez d’émerveillemens; nous n’avons pas encore parlé des portraits. Ici se dresse contre nous, sévère au fond et absolue dans sa forme, une appréciation que nous ne pouvons pas éviter, mais qui, à cause de l’autorité même du juge, exige qu’on s’y arrête et qu’on essaie de l’expliquer. « Ses portraits sont faibles, peu observées, superficiellement construits, et partant de ressemblance vague, m Telle est la conclusion à laquelle aboutit Fromentin. Même sans sortir du Louvre, ni des musées de Belgique, il nous semble que ce n’est pas là traiter Rubens avec une justice suffisante. Le plus souvent, c’est vrai, Rubens « ne se subordonne pas à ses modèles » et il ne nous intéresse à eux que dans la proportion de l’intérêt qu’il a pris lui-même à leur personne. Mais si, de fortune, le modèle lui agrée, si c’est le visage bien connu d’un ami, d’un parent, alors cet œil qui voit si bien, cet esprit si prompt et si juste démêlera vite l’acception qu’il faut choisir dans cette physionomie, les traits qui en résumeront le sens et en fixeront le caractère. Alors, lui aussi, il fera œuvre de portraitiste et parmi les plus grands il prendra son rang. Et ici, c’est le témoignage de Fromentin lui-même que nous appellerons à notre aide. Si au Louvre, à des portraits tels que ceux du baron de Witt ou d’Elisabeth de France il préfère l’esquisse faite d’après Hélène Forment et ses deux enfans, « cette ébauche admirable, ce rêve à peine indiqué, laissé