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Tous ces témoignages d’excellence qui, dans tous les genres, s’imposent ici à notre admiration, vous les retrouveriez ailleurs assurément, mais successifs, isolés, épars ; dans ce musée de Munich où Rubens est véritablement un roi, ils se présentent à nous en foule, coup sur coup, avec une souveraine éloquence qui déconcerte le jugement. Quelle est donc la puissance de ce prodigieux génie, ou plutôt quelle n’est pas la multiplicité de ses ressources pour qu’on ne puisse lui dénier une qualité, lui refuser une aptitude sans qu’aussitôt il vous montre l’une et l’autre ? N’y aurait-il là que des instincts admirables, un bonheur inouï, et ce qu’on appelle un peu légèrement les privilèges du génie ?

Oui, sans doute, Rubens a beaucoup reçu, et il est difficile de rencontrer une vie plus heureuse. L’intelligente et tendre affection de sa mère, les enseignemens des maîtres qui devaient successivement exercer sur lui une influence si utile et si différente, au moment opportun, un voyage en Italie et, outre les relations qu’il y trouve, le commerce des belles choses et celui des grands esprits, toutes les facilités du talent, et plus tard, avec les richesses et la gloire, toutes les joies de la famille, rien n’a manqué à Rubens. Après avoir relevé, comme Fromentin l’eût fait lui-même, croyons-nous, une restriction qu’il eût été injuste de maintenir à Munich, il convient maintenant de renvoyer le lecteur aux pages charmantes dans lesquelles est résumée cette noble vie[1]. À côté de ce que Rubens a reçu, vous y trouverez ce qu’il a fait pour lui-même : le sage emploi de son temps, la sobriété de ses habitudes, la mesure, la constante régularité, qui ont fécondé toutes ses forces natives. Comme lui, d’autres ont eu bien des dons ; Rubens a mérité les siens, et le trait moral qui nous frappe le plus chez lui, c’est la volonté. Il a su diriger sa vie ; il l’a défendue contre les grands, contre les richesses, contre les séductions de toute nature, contre la gloire elle-même, pour rester jusqu’au bout fidèle à l’art qu’il aimait. S’il est permis de rechercher et de noter complaisamment dans l’histoire les exemples de vocations entravées par la misère, celles qu’a perdues une vie trop facile ne s’y montrent pas moins nombreuses, et dans toutes les situations le talent, en somme, doit être acheté par l’effort. Mais cette action de la volonté n’apparaît guère, dira-t-on, chez Rubens. Il est vrai qu’elle ne se manifeste point par de brusques décisions ; elle est continue cependant, elle préside à toutes ses actions, elle prescrit le bon emploi de ses journées, l’hygiène de son esprit et de son travail. Certes on a raison de vanter la rare fécondité, la promptitude de ce génie si ouvert,

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1876.