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pas toujours heureuses. Parfois une addition suggérée par le désir d’un effet plus pittoresque est peu justifiée au point de vue des convenances du sujet. C’est ainsi, par exemple, que la grande guirlande de fruits et de légumes qui, dans le Mariage de Marie de Médicis (n° 438 de la galerie du Louvre), décore le haut du tableau, et le chien qui, pendant cette cérémonie, s’est fort irrévérencieusement installé sur les marches de l’autel, ne figurent pas dans l’esquisse primitive. En revanche, dans le projet de l’Entrevue de la Reine et de son fils[1], un grand monstre bizarre, « l’hydre de la rébellion, » occupe toute la droite, et plus de la moitié de la composition. Cette étrange création, plus grotesque que terrible, avait bien pu échapper à Rubens dans la vivacité de sa facile improvisation ; il a reconnu, dans le tableau du Louvre, qu’il était nécessaire de la modifier et surtout de la ramener à de moindres proportions; mais ce ne sont pas seulement des renseignemens sur les procédés de peintre que nous rencontrons ici; les indications fournies par ces esquisses ont quelquefois la valeur de documens historiques. L’esquisse qui nous représente la reine emmenée à Blois par ordre de son fils (n° 902) n’a pas été exécutée en grand. Marie de Médicis jugea sans doute inopportun l’hommage que, dans son affection reconnaissante, l’artiste avait voulu lui rendre en montrant que la haine et la calomnie avaient seules pu causer les disgrâces de la reine, et après la réconciliation de Brissac, elle comprit qu’il n’y aurait ni convenance morale, ni prudence politique à conserver ce témoignage des violences et des inimitiés passées.

Nous avons pu entrer dans l’intimité du talent de Rubens, nous allons pénétrer dans l’intimité même de sa vie. Lui-même nous y invite en nous montrant ici, fixés à jamais par son pinceau, bien des souvenirs de sa famille et de son foyer. C’est d’abord une vive esquisse d’après un de ses frères, puis une admirable ébauche du portrait de sa mère, beau et large travail où l’on sent autant l’affectueuse vénération du fils que le talent du peintre, nouvelle preuve de ce qu’il vaut comme portraitiste quand il nous montre ceux qu’il connaît bien et qu’il aime. Voici Rubens lui-même, en costume élégant, habit brun, bas de soie oranges, assis sous un berceau de chèvrefeuille tout fleuri; sa première femme, Isabelle Brandt, est à ses pieds, parée aussi et coiffée d’un chapeau à haute forme. C’est aux environs de leur mariage, vers le printemps de 1610 ; ils sont jeunes tous deux, et, la main dans la main, semblent

  1. Donnons encore ici un court échantillon du texte du catalogue : « La reine plane, suivie de la charité maternelle, dans l’embrassement de son fils, en s’élevant vers le ciel, où le gouvernement paisible les attend. La justice punissante précipite l’hydre de la rébellion dans l’abîme. » Catalogue de la Pinacothèque royale, p. 134, n° 118.