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ou accroupies sur la rive s’enlèvent nettement sur le clair de l’eau. Au-dessus, une grande envolée de nuées grisâtres délicatement modelées. Animaux et personnages sont groupés de la façon la plus pittoresque et dans toutes les attitudes. Le dessin, la couleur et l’effet sont d’une justesse parfaite; la touche est précise, savante, fine ou pleine suivant qu’il le faut, et dans une gamme très restreinte la dégradation des plans se poursuit avec un art infini jusqu’à l’horizon. Vous retrouverez bien souvent, par la suite, cette donnée, qui est propre à la Hollande, mais voici dès les débuts une affirmation déjà parfaite des qualités qui plus tard caractériseront ses meilleurs peintres. Le dessinateur vaut ici le coloriste, et quand on pense que ce même Cuyp est aussi l’auteur du tableau de famille du musée d’Amsterdam et des deux beaux portraits qui sont au musée de Metz, on se dit que ce vieux peintre est un véritable maître et que, peut-être parce que ses œuvres sont assez rares, il n’a pas tout le renom qu’il mérite.

Après ces noms et cet éclat subit d’un art qui, dès sa naissance, montre ainsi sa simplicité et sa force, la foule des illustrations se presse. C’est Wouvermann et ses brillantes chevauchées, ses chasses, ses relais où l’on vide si lestement le coup de l’étrier, la vie des camps, les aventures, voire même une vraie bataille, celle de Nordlingen, mais sans grand souci de la couleur locale ; tout cela vif et gai, mais un peu monotone et un peu superficiel. Puis ceux qui ont voyagé au loin et qui mêlent leurs souvenirs aux impressions du pays natal : Swanevelt, Karel Dujardin, les deux Both, qui évoquent assez malencontreusement Argus et Mercure dans une campagne hollandaise, et Berghem, avec sa facile habileté, ses panoramas italiens et ses horizons dorés d’une chaude lumière. Everdingen, lui, a poussé jusqu’à l’extrême nord et rapporté de Norvège les sauvages aspects de cette nature âpre et grandiose : de noirs sapins, des rochers amoncelés, des eaux tumultueuses. D’autres, encore mieux inspirés, ne se sont guère écartés de leur foyer : Ary van der Neer, le peintre des nuits transparentes et des clartés mystérieuses; Albert Cuyp, moins bien représenté ici que son père; Ad. van den Velde, avec des Vaches retournant au village, tableau important, d’une pâte un peu molle, mais d’une couleur et d’un dessin très francs; van der Heyden enfin, qui, à force de précision et de minutieuse vérité, a su, sans sortir des villes, nous intéresser à la régularité un peu triste de leurs canaux et de leurs rues solitaires.

La mer aussi devait avoir sa place dans cet art tout local, cette mer livide et terne que l’on aperçoit presque de partout, qui confond ses eaux avec celles des grands fleuves et menace tous les rivages. C’est un ennemi contre lequel il faut se défendre sans relâche,