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mais c’est en même temps la principale source de la prospérité nationale. Elle a ses peintres attitrés, Peters, le froid Backhuysen et Guillaume van den Velde surtout, qui jouissent de la faveur publique. De ce dernier nous avons ici deux œuvres remarquables et bien différentes. D’abord un de ces temps de calme langueur que de préférence il aimait à reproduire : le ciel est pâle avec quelques nuages blancs; aucun souffle dans l’air. Les voiles des bateaux retombent inertes le long des mâts, et l’eau, comme un miroir fidèle, reflète les embarcations. A peine quelques rides à l’horizon; aussi loin que le regard s’étende tout est clair et immobile. Avec la Tempête, du même peintre, le contraste est complet; l’orage s’en va, mais les navires sont encore violemment secoués et, sous le ciel sombre, la mer houleuse, frappée par un rayon de soleil, conserve un aspect sinistre et blafard.

Bien d’autres encore réclameraient notre attention, car avec des pratiques presque pareilles, les individualités de ces peintres sont nettement accusées, et, quoiqu’ils aient entre eux un air de famille, tous ces gens-là sont bien eux-mêmes; mais il est temps de clore cette énumération déjà trop longue, et c’est avec Paul Potter et Ruysdaël que nous allons prendre congé de l’école hollandaise et de la Pinacothèque. Le premier n’a ici qu’un seul tableau, mais excellent, signé et daté 1646. P. Potter est âgé de vingt et un ans; il n’a plus que huit ans à vivre, et cette œuvre est le plus éloquent témoignage de la précocité de son talent. Devant une pauvre cabane, il nous montre un ménage de paysans; la mère est occupée à guider les premiers pas d’un affreux petit être, digne fruit de ce couple disgracieux. Il est vraiment bien laid, ce marmot, avec sa fontange gauchement nouée sur ses cheveux en désordre et son visage écrasé. L’enfant fait effort et rit en tendant les bras à son frère ainé qui l’encourage. Autour de la famille sont groupés des moutons, des vaches au repos ou broutant; plus loin, une femme trait une vache à côté d’une chèvre qui allaite son chevreau. Pour fond, un horizon de dunes très bas, très simple. La végétation est maigre et rare; l’herbe a peine à pousser dans ce sable, elle commence cependant à reverdir. Près de la cabane, un tremble au tronc blanchâtre, écorché par places, et un vieux chêne, encore plus maltraité, ont déjà quelques menues feuilles, encore clair-semées sur les rameaux décharnés. Tout ce pays est bien misérable, et la vie doit y être difficile et chétive; mais ces pauvres gens goûtent aussi leurs joies : ils ont des enfans, ils les aiment, tout laids qu’ils sont, et par cette douce journée de printemps ils se chauffent avec eux au soleil, en humant un air vivifiant et pur. Tout est gaîté, tout renaît autour d’eux. Dans le ciel, d’un bleu pâle, flottent quelques nuages