Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/888

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vigilance ou la poursuite; ce n’était qu’au retour, quand l’invasion était alourdie par les troupeaux qu’elle entraînait avec elle, qu’il avait été possible de l’atteindre et de lui arracher ses prises. Ce résultat est d’autant plus remarquable que les Indiens, comprenant qu’ils jouent leur dernier enjeu, ont redoublé d’efforts, de ruse et de courage. Ils ne se sont pas contentés de tâter sans cesse la frontière d’un bout à l’autre pour profiter du moindre relâchement de vigilance, ils ont combiné pour la forcer de véritables opérations stratégiques, conçues avec habileté, exécutées avec résolution. Au mois d’avril dernier, décidés à pénétrer par la section côte sud, ils lancèrent un corps nombreux sur Puan, son campement principal. Ils espéraient que le gros de leur troupe passerait un peu plus loin à la faveur de cette diversion. Le corps d’attaque fut culbuté. La petite armée dont il devait masquer les mouvemens, forte de huit cents lances, fut prise en flanc, faillit être coupée en deux, et regagna la pampa ; mais ce fut après une défense si tenace qu’elle laissa une cinquantaine de morts sur le carreau : elle dut avoir un nombre bien plus considérable de blessés. De solides troupes de ligne ne se battraient pas avec plus d’acharnement. On a remarqué aussi que l’aspect des sauvages dans la mêlée n’est plus le même qu’autrefois. Ils ne font plus de charges désordonnées accompagnées de clameurs assourdissantes : le combat est silencieux; on n’entend que la voix du chef et les commandemens du clairon. Pauvres diables! ils font de leur mieux. Les quelques déserteurs qui se sont réfugiés chez eux, les renforts qu’ils ont reçus à diverses reprises de tribus jadis alliées des chrétiens et dressées aux batailles rangées, ont contribué sans doute à leur apprendre la manœuvre; mais c’est surtout la disette qui a perfectionné hâtivement leur éducation militaire. Leur interdire le pillage, c’est leur couper les vivres.

Outre la garde nationale, pour stimuler son émulation et pousser les travaux avec rapidité, il avait été convenu qu’on enverrait à la frontière 300 terrassiers de profession. Plus de 400 se firent inscrire, car les temps étaient durs et les travaux rares; mais c’est là surtout que les défections furent nombreuses. La presse s’en était mêlée; les journaux d’opposition tonnaient alors avec ensemble contre tout ce qui se faisait à la frontière. C’est une question dans laquelle le parti qu’ils soutiennent a si peu brillé quand il était au pouvoir, et la solution doit avoir, selon toute probabilité, tant d’influence sur la prochaine élection présidentielle, qu’il faut bien leur pardonner de l’avoir toujours traitée avec aigreur. La population étrangère lit surtout les journaux d’opposition. Ceux-ci inspirèrent sans peine aux ouvriers qui se disposaient à partir une terreur panique. Le jour du départ, il ne se présenta pas 100 hommes. Plusieurs