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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/899

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des sections extrêmes du fossé, de Trenque-Lauquen à Witta-Lô au nord, de Puan à la mer au midi. Chacune d’elles emploie 300 ouvriers. Elles les ont trouvés sans peine. Le désert, mieux connu, inspire maintenant plus de curiosité que de terreur; il est même devenu à la mode. Leurs équipes présentent toutefois une grande bigarrure de professions et de nationalités. A côté d’un terrassier authentique apparaît un bachelier ès-lettres, qui ne brille guère auprès de ses solides camarades, ou un capitaine au long cours que l’ivrognerie a réduit à des travaux manuels aux confins du monde habité. On trouverait dans le nombre, en cherchant bien, quelque gaillard ayant sur la conscience une boutonnière ouverte dans la peau du prochain, et qui déroute par cette excursion lointaine les curiosités de la police. Tout cela est plus docile qu’on ne croirait, tout cela bêche et pioche avec ardeur. Chacun a son revolver à la ceinture, et quand on se met au travail les fusils sont formés en faisceaux sur le front de bandière. Les revolvers ont été achetés en prévision des discordes intestines, les fusils sont destinés à repousser les attaques de l’extérieur. On ne s’est servi jusqu’à présent ni des uns ni des autres; la paix a régné parmi les travailleurs de la tranchée, à part quelques horions sans importance. Les Indiens ne sont pas venus se frotter à eux : ils ont eu raison; ils n’ont là que du plomb à gagner. Les divers tronçons de la longue barrière qu’on veut leur opposer se rapprochent rapidement les uns des autres; avant peu, elle ne présentera plus de solution de continuité. On a été un moment à court d’argent, on en a maintenant plus qu’il n’en faut, toujours grâce au gouvernement de la province, qui, fort intelligemment, ne se lasse pas, afin de rendre pratique et définitive l’annexion de cette large bande de prairie, d’escompter les bénéfices que lui rapportera la vente des terres publiques qu’elle renferme. La frontière sera dorénavant à peu près infranchissable, pourvu que la politique ne s’en mêle pas et n’oblige pas les troupes qui la gardent à venir résoudre à l’intérieur d’irritans problèmes par la force des baïonnettes.

Ce n’est pas à dire qu’il faille se reposer sur le fossé du soin d’acrêter les envahisseurs et que les garnisons n’aient plus qu’à dormir sur les deux oreilles. Ce retranchement gêne terriblement les Indiens sans doute, il a pourtant un défaut : il est très étendu pour les forces assez réduites qui sont chargées de le surveiller et de le maintenir en bon état. Il faut prévoir le cas où les sauvages parviendront soit à y ouvrir une brèche, soit à profiter des dégradations que le mauvais temps lui aurait fait subir et qui n’auraient pas été réparées à temps. La faim venant en aide à leur esprit naturellement inventif, on doit s’attendre à leur voir exécuter de véritables