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débouché restreint : 5,000 hommes et deux fois autant de chevaux répartis sur une centaine de lieues. Si les fermes se multipliaient, elles seraient bientôt encombrées de denrées et réduites à laisser pourrir les récoltes sur pied, faute de trouver à qui les vendre : les transporter jusqu’aux villes de l’intérieur dans les véhicules primitifs qui ont été décrits plus haut, il n’y faut point songer; le charroi jusqu’à la première gare coûterait quelque chose comme 80 fr. la tonne. Le problème est malaisé, il n’est pas absolument insoluble. La frontière s’appuie d’un côté à la mer; elle vient aboutir à un fort mauvais port, Bahia-Blanca, qu’on peut sans grande dépense rendre passable. Ce sera fait avant peu. Toute idée de colonisation à part, ce port, à peu près abandonné depuis 1827, date de la fondation du village, a pris de l’importance par suite de l’occupation de la nouvelle ligne; c’est une voie économique et commode pour la ravitailler. Quand on l’aura amélioré, voilà, dans une dizaine de lieues de rayon, une section de frontière qu’il sera possible de cultiver. Aussi les arpenteurs sont-ils à la besogne pour en faire la division en lots et le bornage. Une section, et la plus petite, ce n’est guère. Les autres se trouvent situées en face des têtes de ligne de deux chemins de fer, celui du sud, appartenant à une compagnie anglaise, celui de l’ouest, propriété du gouvernement de la province. Vaut-il la peine de les prolonger jusqu’aux nouveaux campemens? La compagnie du sud ferait sans doute, en se lançant dans cette opération, une mauvaise affaire. On lui céderait avec plaisir de chaque côté de la voie une bande d’une lieue de largeur en compensation de ses sacrifices. Cette compensation ne représenterait pour elle qu’un bénéfice problématique et lointain. Les dépenses d’établissement et d’installation seraient des charges immédiates. Pousser résolument le railway à travers les solitudes est une hardiesse nord-américaine qui n’a pas eu toujours une prompte récompense. Une compagnie particulière, si elle est prudente, désirera voir des colonies déjà établies et des marchandises toutes prêtes avant de s’occuper de les transporter. Les colons, de leur côté, si le chemin de fer reste à l’état de vague espérance, ne solliciteront pas de concessions. C’est un cercle vicieux autour duquel on risque de tourner longtemps.

Pour le chemin de fer de l’ouest, dont la construction, d’après la configuration du terrain, serait plus facile, la question change de face. Le gouvernement de la province est propriétaire à la fois de la voie ferrée et des plaines qu’elle traverse. Ce n’est pas sur la vente d’un ruban de deux lieues de large, c’est sur celle de milliers de lieues carrées qu’il doit compter pour rentrer dans ses déboursés. De plus, ces terres non-seulement ne lui rapporteront une rente, mais surtout ne représenteront pour la province une richesse que le jour où il les aura aliénées. Sa situation n’est pas celle d’une