Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/910

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui met périodiquement tout le monde en alarmes, il est de bonne guerre d’affamer un peu son adversaire pour l’amener à des visées plus raisonnables. Dès qu’elle aura rendu impossibles les déprédations indiennes, la république argentine sera dans une excellente situation pour amadouer par des concessions douanières ces revêches voisins et pour les obliger à se départir de leur hautaine attitude.

Pays montagneux et agricole, le Chili produit peu de bestiaux et en consomme beaucoup, grâce aux vols des Indiens, dont il profite sournoisement. C’est là qu’ont passé les centaines de mille de bêtes à cornes qui ont disparu des plaines argentines depuis vingt ans. La partie de la pampa abandonnée aux sauvages est sans cesse parcourue par des marchands de bœufs chiliens qui vont de tribu en tribu se composer à peu de frais des troupeaux. Ces spéculateurs peu scrupuleux accompagnent parfois les invasions et prennent livraison, sur l’estancia même où elles sont nées, de bêtes payées d’avance aux pillards. Ce commerce scandaleux a beaucoup contribué à perpétuer les incursions ; peut-être le gouvernement chilien n’a-t-il pas pris, pour le réprimer, les mesures efficaces qu’auraient dû lui dicter les relations de bon voisinage. En tout cas, il est fini; il faudra désormais acheter les animaux de boucherie à leurs propriétaires légitimes. Les droits de sortie que paie le bétail qui traverse les lignes de douane de San-Juan et de Mendoza pour passer sur le versant occidental des Andes ont été considérés jusqu’à présent à Valparaiso et à Santiago avec une superbe indifférence; ils vont prendre de l’intérêt. Si la république argentine sait profiter de ses avantages sans en abuser, elle doit arriver à terminer du même coup d’une manière avantageuse la question de limites et la question douanière ; elle peut être large sur la seconde, pourvu qu’elle enterre la première à tout jamais. Ce sera un résultat indirect, mais très précieux, des dispositions énergiques adoptées par le docteur Alsina pour bien garder la frontière. Au moment où s’achèvent les travaux d’organisation et de défense de la nouvelle ligne, la plus dangereuse ennemie de la propriété argentine, la politique, sommeille. Le gouvernement a tendu la main à l’opposition, l’opposition a reconnu qu’elle avait été parfois trop systématique. Les bons esprits des deux camps ne respirent qu’apaisement et concorde. C’est une heure favorable pour tourner toute l’ardeur inquiète qu’on a longtemps dissipée en polémiques vers le progrès agricole des solitudes de la pampa.


ALFRED EBELOT.