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La foule des soldats mutins qu’on reconnaît
À la cuiller de bois pendue à leur bonnet,
Se rassemble et s’indigne en tumultueux groupes.
Car on a répandu ce bruit parmi les troupes
Que celui qui les traite avec tant de dédain,
Dans un kiosk enfoui sous l’ombre d’un jardin,
Où, même en plein midi, le jour à peine filtre,
Accablé de langueur et charmé par un philtre,
Fatigue de son poids les coussins d’un sopha ;
On dit qu’une Épirote aux yeux bleus triompha
De ses anciens désirs de guerre et de victoire.
Et que Mahomet Deux, au mépris de sa gloire,
Ne veut plus désormais que vivre par les sens
Et, la guitare en main, chanter des vers persans.

Et la révolte croît comme la mer qui monte.

— Honte au sultan lascif et lâche ! cent fois honte !
Répète en menaçant le murmure irrité
Comme un bourdonnement de mouches en été.
L’argent qu’on réclamait, on n’y songe plus guère.
Nous voulons des combats, du sang et de la guerre.
Le grand sabre d’Othman se rouille. Prétend-on
Nous engraisser pour rien de riz et de mouton ?
On se fût contenté de trois aspres de paie ;
Mais malheur au sultan qu’un candjiar effraie
Et que deux yeux pervers tiennent en leur pouvoir !
Qu’il vienne ! Nous voulons lui parler et le voir,
Et nous n’attendrons pas plus longtemps sa réponse.
Ouvrez-nous sur-le-champ la porte, ou qu’on l’enfonce !
Nu ! de nous n’est un chien qu’on lui dise : Va-t’en !
Le sultan ! le sultan ! nous voulons le sultan !

Ainsi, montrant le poing, la sédition gronde.
Mais la porte mauresque aux clous d’or, lourde et ronde,
Reste close, et toujours le sérail est fermé.

Pourtant Khalil-Pacha, le vizir bien-aimé,
Le seul des courtisans qui puisse se permettre
De frapper au harem et d’approcher du maître,
Insiste pour le voir et veut être entendu.

Sur un large divan mollement étendu
Et coiffé du turban d’où jaillit son aigrette,
Mahomet le reçoit dans la chambre secrète