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De te faire écouter la vérité sévère.
Commandeur des croyans, on t’aime, on te révère,
Et, si tu vois ici tout ce peuple irrité,
C’est que dans la mollesse et dans la volupté
On prétend que tu vis, esclave d’une femme.
Hautesse, prouve-nous que ce bruit te diffame.
Monte à cheval, reprends le belliqueux harnais,
Montre à tes vieux faucons le Grec ou l’Albanais;
Ils te l’apporteront, expirant, dans leurs serres!
Et je te parle ici pour tous tes janissaires,
Aussi vrai que je suis musulman et hadji!

— Ce pavé de ton sang serait déjà rougi,
Si tu n’avais au front ta belle cicatrice,
Cria Mahomet Deux. Donc on croit qu’un caprice
Aurait un tel pouvoir sur le fils d’Amurat.
Tu penses qu’un baiser de femme, peuple ingrat,
A fait fondre l’orgueil de ce cœur intrépide !
Vous avez pu le croire aussi, troupe stupide!
Vous avez cru, soldats vantards et querelleurs,
Qu’on domptait le lion avec un frein de fleurs!
Eh bien! vous allez voir la marque de sa griffe.
Vous osez m’accuser, moi, sultan, moi, khalife,
Moi, la forme terrestre et visible d’Allah!
Fils de chiens, ma réponse est prête,.. La voilà!

Et, quand il eut ainsi parlé d’une voix mâle,
Mahomet Deux plongea sa main royale et pâle
Au sac de cuir que Djem à genoux lui tendit;
Puis il en arracha brusquement et brandit
Aux regards stupéfaits de la foule attroupée.
Une tête saignante et fraîchement coupée,
Celle de la sultane aux yeux couleur de ciel.
Que, dans son sac immonde et pestilentiel.
Venait d’apporter là, toute chaude, l’eunuque.

Tranchée atrocement de la gorge à la nuque.
Sous le désordre noir des longs cheveux sanglans
Où Mahomet crispait alors ses beaux doigts blancs,
La tête lamentable et presque encor vivante.
Les dents à nu, les yeux dilatés d’épouvante,
Oscillait dans la main ferme qui la tenait
Et sur le marbre pur lugubrement saignait;