Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/948

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La Venise de M. Charles Yriarte, ce superbe volume de format très grand in-4o, orné de plus de quatre cents figures, est l’œuvre la plus magnifique que la typographie et la gravure aient encore consacrée à Venise. Nous dirions même qu’on n’a jamais décrit ainsi Venise, si le souvenir de Théophile Gautier ne nous arrêtait. D’ailleurs le livre de M. Yriarte a d’autres qualités. Où l’auteur de Constantinople n’a fait qu’une merveilleuse description, un lumineux tableau, une surprenante et admirable condensation des aspects multiples de Venise, M. Charles Yriarte, avec plus de temps, plus d’études, plus de recherches, décrit un à un les monumens et les tableaux, raconte les grands événemens de l’histoire de Venise, surprend les secrets de ses archives et pénètre les mystères de son gouvernement, fait l’historique de ses arts et de son industrie, étudie sa littérature depuis les historiens officiels de la sérénissime république et le voyageur Marco Polo jusqu’à Goldoni et à Gozzi; il entre enfin dans la vie intime de la Venise contemporaine. Il a vu ses fêtes et ses divertissemens, il a entendu les messes de la Salute et de Saint-Marc, il a interrogé les bigolante de la cour du palais ducal et les gondoliers de la Riva, il a été reçu dans les palais et dans les couvens. Il a été dix fois à Venise, et la place Saint-Marc lui est plus familière peut-être que la place de la Concorde. Mais pour bien peindre Venise, il ne suffit pas de la connaître, il faut l’aimer. Il faut être sensible à son charme pénétrant, à sa mélancolie adorable qui vous envahit, à son mystère féerique qui vous emporte comme en un rêve de fumeur d’opium. Il faut en savourer la séduction quand on y est, en sentir la nostalgie quand on en est éloigné, la quitter avec tristesse, la revoir avec bonheur. Or M. Charles Yriarte aime Venise; il en parle comme un exilé parlerait de la patrie.

De Venise à Trieste, il n’y a que sept heures de chemin de fer, et quand on est à Trieste on est déjà sur le chemin de l’Istrie, de la Dalmatie, du Monténégro. Voilà pourquoi M. Charles Yriarte, qui un beau matin avait quitté Venise, s’est retrouvé un beau soir — à Venise, mais après avoir, pendant de longs mois, contourné les bords du golfe adriatique, après avoir vu Trieste, Fiume, Zara, Cattaro, Ravenne, Ancône, Lorette, Foggia, Brindisi, Otrante, après avoir gravi la Montagne-Noire. C’est ce voyage qui, pour le Monténégro et certaines contrées de l’Istrie, est presqu’un voyage de découvertes, au cœur même de l’Europe, que raconte M. Yriarte dans les Bords de l’Adriatique et le Monténégro, bel in-quarto tout rempli de gravures sur bois d’après les dessins pris sur nature par l’écrivain lui-même. — On sait en effet qu’avantage précieux pour un voyageur, M. Charles Yriarte a un crayon à double fin et qu’il supplée par un croquis rapide aux lacunes volontaires de ses notes de voyage. Que celui qui hésiterait entre les deux volumes de Charles Yriarte les prenne tous les deux. Pour les amans de Venise, les Bords