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voyez surtout l’Exposition de 1789, gravée par ce même Martini, d’après le dessinateur Henri Rambert. En examinant cette foule confuse, ces grands seigneurs, ces bourgeois, ces désœuvrés, ces causeurs qui gesticulent, ou songe à la mêlée du temps de Louis XV et de Louis XVI. Les jeunes gens y coudoient les vieillards. A côté de ceux qui ont vu les grandes luttes du siècle, et, de près ou de loin, y ont pris part, on devine ceux qui assisteront aux catastrophes des dernières années. Voici certainement des hommes qui ont connu Voltaire, qui ont entrevu Jean-Jacques, qui ont causé avec Diderot, en voici qui siégeront peut-être à l’assemblée constituante, à l’assemblée législative, à la convention nationale, et qui comparaîtront à la barre du tribunal révolutionnaire. Nul ordre, nulle suite, les générations sont confondues, et, pour peu que l’imagination s’en mêle, il semble que ce soit comme une vision rapide du XVIIIe siècle.

On éprouve quelque chose de cette impression quand on parcourt le beau volume que la librairie Didot vient de publier sous ce titre ; XVIIIe siècle. Lettres, sciences et arts. M. Paul Lacroix, l’auteur du texte, convenait parfaitement à la tâche dont il s’est chargé. Dès qu’il ne s’agit pas d’écrire une histoire philosophique, de grouper les acteurs, de classer les idées maîtresses, de rapprocher les effets des causes, de séparer le bien du mal et le bon grain de l’ivraie, de signaler ce qui devait mourir et ce qui demeure à jamais consacré, — dès qu’il faut simplement rassembler les hommes du dernier siècle dans une galerie où l’on va de l’un à l’autre en toute liberté, où l’on fait maintes rencontres inattendues, où les mouvemens d’idées sont confondus et les générations entremêlées, M. Paul Lacroix est vraiment un cicérone à qui l’on doit des remerciemens. Il est instruit, obligeant, empressé, et il a réponse à presque tout ce qu’on lui demande. Il sait beaucoup de petites choses et n’y insiste point. N’allez pas dire qu’il est trop souvent superficiel, c’est la condition de son travail. Et qu’importe, après tout, si cette manière aimable et sans façon éveille chez beaucoup de lecteurs le désir d’y regarder de plus près?

J’aurais bien, moi aussi, des objections graves à lui adresser sur tel ou tel point de l’histoire littéraire du XVIIIe siècle, j’aurais à lui reprocher d’avoir trop effacé les grandes figures, d’avoir même oublié dans les rangs secondaires des physionomies charmantes; mais encore une fois, ce n’est pas une histoire, c’est une galerie, une série de salons ouverts à la foule, et, dans le va-et-vient des rencontres, il faut bien laisser quelque chose au hasard. J’aime mieux indiquer ce que ces hasards ont parfois d’heureux et de profitable. Dans les histoires littéraires du XVIIIe siècle, on ne parle jamais des grands travaux d’érudition, éternel honneur de la France, on oublie de signaler ce prodigieux atelier de travail installé à l’abbaye Saint-Germain-des-Prés ; on paraît ignorer que