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Enfin le navire annoncé jeta l’ancre dans la baie de Simon. Depuis plus de six mois que l’agitation se continuait, les esprits s’étaient un peu calmés. Au surplus les hommes de bon jugement s’étaient rendu compte qu’il ne valait rien de pousser à bout le gouverneur. Que les convicts restassent à bord en attendant une solution, c’était l’essentiel. Sir H. Smith y consentit. Après quelques mois d’incertitude, on apprit que lord Grey s’était laissé convaincre que la transformation de cette colonie en établissement pénitentiaire risquait d’aliéner tout à fait les habitans. Le navire reçut ordre de repartir pour la Tasmanie avec son triste chargement. La ligue se réunit alors encore une fois, et, après s’être félicité du résultat obtenu, elle se déclara dissoute. La crise avait duré deux ans, sans émeute, mais aussi sans faiblesse ; chacun avait fait son devoir, aussi bien le gouverneur en assurant dans la mesure de son pouvoir l’exécution d’une ordonnance qu’il désapprouvait, que les habitans en se contentant de protester par des moyens que la loi les autorisait à employer. Le plus coupable en cette affaire était sans contredit le ministre des colonies, qui avoua du reste s’être trompé. Il avait espéré, déclara-t-il, que ses compatriotes du Cap tiendraient compte des intérêts généraux de l’empire plus que de leurs préjugés personnels. Demander à des colons de s’immoler au profit de la métropole est une illusion qu’un homme d’état prévoyant ne devrait jamais éprouver. Les dépendances lointaines en faveur desquelles la mère patrie a fait les plus grands sacrifices ne sont-elles pas celles qui réclament le plus vite leur autonomie ? Il ne sert à rien de le méconnaître ou de s’en lamenter.

L’heureuse issue de cette campagne contre la déportation était un encouragement à réclamer de nouveau le gouvernement parlementaire. Que la colonie du Cap fût en état de s’administrer elle-même, personne ne le mettait plus en doute. En Angleterre même, les partis politiques s’accordaient à peu près tous à reconnaître que les établissement créés en diverses régions du globe n’acquièrent un entier développement, bien plus qu’ils ne restent fidèles à la patrie commune, qu’à la condition de posséder les institutions dont tout Anglais est fier. La constitution du Cap fut élaborée par le conseil privé de la reine, après examen des projets présentés par les autorités locales. Deux points furent admis sans difficulté, à savoir qu’il n’y aurait qu’une seule législature pour la colonie et qu’elle se composerait de trois pouvoirs, le gouverneur représentant de la reine, le conseil législatif et une assemblée élue. Quelques personnes avaient proposé qu’il y eût deux législatures, l’une à l’est et l’autre à l’ouest ; mais les provinces orientales étaient si peu peuplées qu’on craignit de n’y pas trouver les élémens d’un