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et cette sécurité virile était déjà la plus éloquente des oraisons funèbres. Avant de quitter le théâtre de son activité, le roi fondateur put jouir de cette victoire suprême. Il y avait droit, certes, par sa fidélité aux devoirs de sa charge, par une modération et une sagesse qui ne furent jamais en défaut. Depuis la terrible crise de 1857, il avait eu à traverser encore plus d’une épreuve périlleuse ; il s’était montré toujours le même. Il avait constamment déféré aux vœux du pays, sans permettre jamais que la constitution fût viciée, ni les prérogatives du souverain méconnues. Sa bienfaisante initiative avait accru la richesse publique ; dans toutes les questions qui intéressaient l’agriculture, le commerce, la navigation, il avait sans cesse tenu à jouer le premier rôle. Un de ses anciens ministres, M. Faider, a pu lui rendre ce témoignage avec l’assentiment universel : « Il avait infiniment d’esprit, et je puis répéter ce qu’on a dit souvent, qu’il a toujours eu plus d’esprit que les plus spirituels de ses conseillers. » Mais qu’est-ce que l’esprit sans la bonté ? M. Faider ajoute : « Il n’a jamais fait de mal à personne, il n’a de sa vie infligé ni blessure ni offense. » Ne croyez pas cependant que ce fût une bonté banale, une douceur indifférente. « Certes, nous dit encore ce ministre qui l’a vu de près aux heures de crise, il n’a pas aimé tous ceux qui l’ont servi, et il n’a pas régné trente-cinq ans sans éprouver un ressentiment ou une colère ; je puis même dire que sa colère était terrible, et alors son œil fin, profond, un peu voilé, se remplissait d’un éclair pénétrant ; mais il revenait promptement, et l’idée d’une vengeance n’était pas entrée dans son esprit… Il était naturellement indulgent, il aimait à exercer le droit de grâce… Il ne voulait point de poursuites contre les écrivains de bas étage qui osaient l’outrager. Il se sentait trop aimé et trop fort pour accepter contre eux une réparation légale ; il était sûr d’être assez vengé d’insolens folliculaires par le jugement du pays[1]. »

Ce jugement, qui avait déjà cours du vivant du roi, fut confirmé. après sa mort et répété par l’Europe entière. Tous les souverains s’honorèrent en lui rendant hommage. Le jour même où Léopold venait de s’éteindre au milieu de ses enfans agenouillés, en présence des ministres et des présidens des deux chambres, dès que la funeste nouvelle parvint à Compiègne, l’empereur Napoléon III écrivit au duc de Brabant une lettre de condoléance où se trouvent ces mots : « C’est avec le sentiment du plus sincère regret que l’impératrice et moi nous venons d’apprendre la mort du roi votre père. Par sa sagesse et sa haute intelligence, il s’était placé au premier

  1. Le roi Léopold Ieret la royauté belge, par M. Ch. Faider, ancien ministre de la justice. Bulletin de la Société royale de Belgique, 2e série, t. XXI.