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indignations théâtrales. Il converse avec le lecteur plus qu’il ne discourt. Son autorité lui vient de son honnêteté d’abord, puis de sa haute simplicité, de cette pureté d’un goût mâle et sévère qui le caractérise, enfin de cette connaissance approfondie des mœurs, des institutions, de l’éducation, des habitudes, grâce à laquelle c’est l’antiquité tout entière qui revit et se meut dans ce livre immortel. Aussi quelle salutaire influence il a exercée ! Quelle source il a été de méditations fécondes, d’efforts virils, de sentimens nobles et élevés, de bonnes pensées dans l’acception la plus large du mot ! Il a eu cette rare fortune d’initier bien des âmes aux grandes choses et de révéler des vocations jusque-là inaperçues. Il a fait des hommes, y compris Mme Roland. De tous les livres dus à une inspiration humaine, celui de Plutarque est le meilleur, car il n’en est point qui ait fait plus de bien.

Où retrouver à un tel degré ces qualités simples autant que fortes ? On a rapproché de Plutarque Fontenelle en disant que son livre a fait des savans comme celui de Plutarque avait fait des héros. C’est un peu imiter Plutarque dans son goût des parallèles. Sans doute Fontenelle, en racontant le vie des plus illustres membres de l’Académie dont il était le secrétaire perpétuel, a prêté une attrayante séduction à la science et a pu ainsi lui procurer de nouveaux adeptes. « Au lieu de se servir comme dans l’ancienne Égypte, pour employer ses paroles, d’une certaine langue sacrée entendue des seuls prêtres et de quelques initiés, » il a exposé les grands résultats obtenus par ses savans contemporains avec cette lumineuse clarté qui fait comprendre sans efforts ce qui semble avoir été écrit sans peine. Curieux de tout connaître et très capable de tout faire comprendre, prodiguant l’esprit et même le bel esprit, fin et quelquefois subtil, il a excellé dans l’art de juger sainement les savans français et étrangers placés par Louis XIV dans la même Académie. Mais il l’a fait sans passion, sans chaleur, sans flamme. Il était tout cerveau, et d’un cœur sec. Aussi est-il mort à cent ans de la difficulté de vivre plus longtemps. Une seule fois, dans sa longue vie, il s’est départi de son calme sceptique, et, triomphant. de sa froide nature, il s’est ému, mais c’est pour recevoir le cardinal Dubois et lui décerner les plus pompeux éloges. Ce jour-là l’orateur ingénieux et d’ordinaire discret n’a pas été l’organe anticipé de la postérité.

Quoi qu’il en soit de cette grossière erreur et de cette malencontreuse exception, il serait injuste de méconnaître que Fontenelle a ouvert une voie nouvelle non-seulement en montrant les savans dans leur caractère, dans la piquante et séduisante simplicité de leur vie privée, mais surtout en expliquant les découvertes par les méthodes et en ne séparant jamais la marche de la science de