Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/359

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les districts occupés par les immigrans. Le budget a doublé, sans qu’il y eût aggravation de taxes. Les provinces de l’Afrique australe pourraient donc compter au nombre des états bienheureux qui n’ont pas d’histoire. Toutefois, il y a une réserve à faire. Si les rapports de voisinage avec les Cafres ont été satisfaisans, il n’en a pas été de même avec les boers de l’Orange et du Transvaal. On va voir quels incidens ont surgi qui amèneront, peut-être dans un avenir très prochain, en nouveau changement constitutionnel, l’union fédérale de toutes les communautés européennes.


II

Pour bien juger les événemens dont l’état libre d’Orange a été le théâtre depuis que la Grande-Bretagne l’a abandonné à lui-même, il convient de remonter un peu en arrière jusqu’à l’époque où les premiers boers s’y établirent. Le territoire compris entre l’Orange et le Vaal appartenait alors à diverses tribus. A l’ouest, vers le confluent des deux rivières, vivaient les Bastards ou Griquas, issus du commerce des boers avec leurs esclaves indigènes. A l’est habitaient les Basoutos, commandés par le chef Moshesh. Celui-ci avait fait preuve de talens qu’il est rare d’observer chez un sauvage. Tout jeune, se voyant menacé par les incursions des armées zoulous sous la conduite du puissant Chaka, auquel les fugitifs hollandais eurent affaire lorsqu’ils entrèrent dans la province de Natal, Moshesh se maintint dans les défilés de Thaba-Bossigo avec tant de succès que non-seulement ses sujets conservèrent leur indépendance, mais que même les peuplades environnantes vinrent l’y trouver et se mettre sous ses ordres. Lorsque les Zoulous se retirèrent à l’orient du Drakenberg, il avait donc une situation prépondérante. Semblable à bien des despotes, il accueillait avec bienveillance les missionnaires chrétiens, non point qu’il voulût conformer sa conduite à leur doctrine, mais parce qu’il pensait que leur enseignement convenait fort bien à ses sujets. Peu à peu, les négocians suivirent les missionnaires, puis les boers arrivèrent à leur tour, en quête de nouveaux pâturages. Hommes blancs ou hommes noirs, Moshesh recevait cordialement quiconque lui demandait asile, si bien que le territoire dont il était le souverain fut bientôt surcharge de population. Ce potentat se gardait bien d’ailleurs d’accorder aucun droit qui eût permis aux étrangers de se croire maîtres chez lui. Il disait dans son langage figuré de roi pasteur : « Je vous permets de traire mes vaches ; je refuse de vous les vendre. »

Ainsi les boers purent s’étendre de ce côté sans aucun obstacle ;