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république s’étaient réciproquement engagés à ne rendre aux natifs ni armes ni munitions, prohibition observée avec rigueur, sauf, bien entendu, les effets de la contrebande. Il en était résulté que les Basoutos n’étaient plus en état de se défendre. Au surplus, Moshesh, devenu vieux, m’avait plus la même ardeur. S’apercevant que son peuple allait bientôt succomber, il sollicita la faveur d’être reconnu vassal de la reine de la Grande-Bretagne. À ce moment, les boers triomphaient ; les défilés de Thaba-Bossigo ne les arrêtaient plus. Les indigènes, traqués de toutes parts, réduits à la jouissance d’un territoire restreint dont la surface ne suffisait plus à les nourrir, eux et leurs troupeaux, débordaient vers l’orient au milieu des Zoulous soumis à la domination britannique ; ils y répandaient le bruit des atrocités commises à leur préjudice ; ils semaient la haine contre les hommes blancs de toutes nations entre lesquelles ils ne savaient pas faire de différence. Sir Philip Wodehouse, gouverneur du Cap, s’en inquiéta. Il fit valoir qu’il serait dangereux d’abandonner les Basoutos, inique de ne pas intervenir en leur faveur, puisque leur défaite était due surtout à ce que les traités en vigueur défendaient de leur vendre des armes de guerre. Pourchassés dans leurs montagnes, ces naturels allaient se transformer en bandes de brigands, n’ayant plus d’autre ressource que le vol pour subsister. Le cabinet britannique se laissa fléchir. Le territoire que Moshesh possédait encore après avoir été réduit par plusieurs annexions successives fut incorporé à la colonie anglaise en 1867, malgré les protestations de l’état libre d’Orange. Remarquons en passant que cet acte était une répudiation formelle de la politique adoptée treize ans plus tôt, lorsque le ministre des colonies avait prescrit l’abandon de tout ce qui se trouvait au nord du fleuve. Le régime de non-intervention prenait fin. La Grande-Bretagne affichait l’intention de rétablir sa suprématie sur les diverses communautés européennes de l’Afrique australe.

Pour le Volksraad de Bloemfontein, c’était une atteinte à la convention de 1854. Tout esprit impartial en jugera de même. La seule justification que l’Angleterre ait à faire valoir est qu’elle ne se croyait pas tenue d’agir envers d’anciens sujets de la couronne auxquels elle avait bénévolement rendu leur libre arbitre avec autant de scrupule qu’elle en eût montré envers un peuple d’origine étrangère. Les boers avaient au fond traité les Basoutos comme les Anglais traitent en Asie, en Afrique, en Amérique, les peuplades indigènes dont la turbulence menace leur sécurité, à part cette différence essentielle que les Anglais prétendent avec assez de raison ne soumettre les tribus indépendantes que pour les astreindre à des mœurs plus pacifiques, tandis que les boers avaient l’intention