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du docteur Price, il intéressa Chatham à la cause des dissidens, qui demandaient à ce moment d’être dispensés de la signature, que l’acte de tolérance leur imposait encore, à l’ensemble des trente-neuf articles. Il réussit à réveiller le lion et à le ramener dans l’arène ; mais la chambre des lords resta sourde à cette magnifique revendication des droits de la conscience. Chatham, dans l’irritation de son échec, écrit à Shelburne de ce style amer et éclatant dont il a le secret : « Dans le débat sur les dissidens, le ministère a avoué qu’il les tenait en servitude et qu’on maintenait les cruelles lois pénales comme des lévriers enchaînés tout prêts à être lâchés sur les talons de ces pauvres gens consciencieux, quand il plaît au gouvernement, c’est-à-dire quand ils veulent résister à quelque mesure ruineuse ou désobéir aux ordres dans une élection. Il y a quarante ans, si un ministre eût osé avouer une pareille doctrine, le cri : A la Tour ! à la Tour ! eût retenti sur tous les bancs de la chambre des lords ; mais, fuit Ilium, toute la constitution n’est qu’une ombre. » L’heure de la liberté religieuse n’avait pas encore sonné. On ne comprenait pas qu’on pût être un bon patriote et ne pas faire partie de l’église nationale, et tout dissident était soupçonné de conspirer contre l’indépendance et la grandeur de l’Angleterre.


IV

A la mort de Chatham, Shelburne était devenu le chef de cette petite fraction des whigs qui s’étaient affranchis de la discipline pesante du parti et qui rappellent, mutatis mutandis, par leur indépendance ce groupe de tories qui avaient suivi dans son évolution hardie Robert Peel. Ils tenaient aux tories par leur souci de la prérogative royale, aux whigs par leurs sympathies pour la réforme parlementaire et pour les économies. Un nom nouveau leur convient, ils sont le parti libéral sans épithète. A la chute de lord North, le roi, furieux de perdre en un instant le ministre selon son cœur et le fruit de cette lutte de dix années qu’il avait soutenue avec tant de persévérance et de ruse contre le parti whig, donna l’ordre un moment d’appareiller son yacht pour s’enfuir en Hanovre. Puis, revenu à une appréciation plus modérée de la situation politique, il manda lord Shelburne, comme celui des membres de l’opposition qui lui était le moins antipathique, et le chargea de former un ministère. Shelburne ne se laissa pas éblouir par cette faveur, et il déclara à sa majesté qu’il ne pouvait pas composer une administration sans y faire une place à lord Rockingham. Après bien des refus et des explosions de mauvaise humeur, le roi accorda son consentement, mais à la condition qu’il serait dispensé de l’ennui