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de leurs propres mains et employez le reste de votre vie à prêcher la paix et à combattre la guerre. Si les rois ont des querelles à vider, qu’ils s’arrangent entre eux sans entraîner leurs peuples dans leurs sottes querelles. Les rois peuvent avoir des intérêts opposés ; tous les peuples de la terre n’ont qu’un même intérêt, s’ils le comprennent bien. »

La politique étrangère sépara Shelburne de Pitt. La mort du grand Frédéric venait de rouvrir l’outre aux tempêtes. Cet illustre guerrier, sur le soir de sa vie, avait paru préoccupé de conserver le fruit de ses victoires et de son habileté ; et il n’avait pas témoigné un vif désir de soutenir en Hollande le parti des orangistes au risque de se brouiller avec la cour des Tuileries et de favoriser les desseins de l’Autriche qu’il surveillait avec l’inquiétude d’un rival heureux. Mais l’avènement de Frédéric Guillaume 11 fut marqué par une vigoureuse initiative ; une armée prussienne entra en Hollande en 17S6 et rétablit le prince d’Orange dans tous ses droits et pouvoirs. Ce fut le signal d’un changement de front dans la politique anglaise. On reprit la vieille terminologie ; on désigna la France comme l’ennemie naturelle ; on revendiqua pour l’Angleterre l’honneur de dicter des lois au monde et de faire trembler toutes les cours devant elle, et l’on encouragea sous main les Turcs à égorger les Russes pendant qu’on lançait à l’intérieur une proclamation pour réprimer le vice et l’immoralité. Ce n’était plus la politique de Chatham, qui avait écrit à Shelburne : «  Vous savez que je suis tout à fait russe. » Pitt avait abandonné ces traditions paternelles, et il professait que l’intégrité de l’empire ottoman était nécessaire à la sécurité de la Grande-Bretagne. Conséquent avec cette théorie, il demanda au parlement d’envoyer une flotte dans la Mer-Noire pour intimider les Russes ; mais Fox, dans la chambre des communes, et Shelburne, dans la chambre des lords, combattirent vigoureusement cette motion, et la firent rejeter.

Malgré l’importance des événemens d’Orient, l’attention et l’intérêt se concentraient sur un pays plus voisin. Les relations de Shelburne avec les hommes de lettres et les philosophes français le rendaient très sympathique au mouvement qui venait de se produire. Il n’avait jamais partagé les préjugés de sa nation contre la France, et il était convaincu que, si des institutions libérales s’établissaient de l’autre côté de la Manche comme en Angleterre, il y aurait pour la paix, pour le progrès, des garanties plus solides que celles que pouvaient offrir tous les tarifs protecteurs et toutes les alliances avec les autres puissances du continent. Pendant les années 1789 et 1790 il fut tenu au courant, au jour le jour, par son fils aîné, lord Wycombe, de passage à Paris, par Dumont de Genève, ancien