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auteur un jeune homme brûlant des plus nobles flammes de la métaphysique ; mais à qui s’adressent-ils ? Voyons d’abord :

Amour, de deux beaux yeux le rayon m’a séduit,
Et la neige des monts, de rose colorée,
Est moins brillante, moins lumineuse et nacrée
Que la fière beauté dont l’éclat m’éblouit.
 
Ni les flots de la mer, ni le ruisseau qui fuit
N’éteindront les ardeurs de mon âme altérée ;
Mais de ce mal cruel mon âme est enivrée,
Et plus j’en souffre, hélas ! plus il me réjouit.

Ses beaux bras à mon col enroulés, quelle chaîne !
Et quelle tyrannie aimable que la sienne !
M’en affranchir ? un jour j’essayai ! vain effort !

J’en pourrais dire plus, tais-toi, langue traîtresse !
Gardons notre secret, mon cœur, et notre ivresse,
Parler de son bonheur nuit et mène à la mort.

Ce dernier vers semble contenir une énigme ; essayons de la déchiffrer en recourant au deuxième sonnet :

Comme l’apôtre Paul jadis a fait mystère
De ce qu’il avait vu là-haut, — pour mon bonheur,
Amour ayant d’un voile enveloppé mon cœur,
Ainsi je veux garder mon secret et me taire.

Ce que j’ai fait et vu, comme un trésor sous terre,
Est caché dans mon sein et dans sa profondeur.
Et devant qu’on me voie affronter ta colère,
Mes cheveux sur mon front changeront de couleur.

Et maintenant, contemple à ton tour ma souffrance,
Et juge si ma plainte et mon obéissance
N’auront point d’un regard mérité la faveur ;

Incline tes beaux yeux vers celui qui t’adore,
Et laisse — tant qu’un souffle à sa voix reste encore —
Qu’il te prie en joignant ses mains avec ferveur !

Ici notre poète s’émancipe, et, de toute sa métaphore, il ressort que la diva mystique a dépouillé son voile de clarté, autrement dit que la dame s’est oubliée aux bras de son amant, mais sans admettre aucune arrière-pensée de récidive et sous la condition que le jeune homme, non content de ne rien trahir de l’aventure, en effacerait de sa mémoire jusqu’au souvenir. Il l’a juré ; son serment l’opprime, et, n’y tenant plus, il le rompt vis-à-vis de lui-même et se ressouvient :

T’étreindre dans mes bras, fût-ce par la pensée,
Ô transport ! mais aussi quel tourment inouï,
T’avoir, hélas ! perdue à jamais ! Tu m’as fui ;
Et comme un nautonier pendant la traversée