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ressemblance avec la Madone de Saint-Sixte, mais comment comprendre qu’une personne se transforme de la sorte, et que la jeune femme du palais Barberini puisse en quelques années devenir la figure du palais Pitti ? Ni les yeux, ni la coupe du visage, ni la tête ne correspondent, et pour remettre l’ordre dans nos idées, pour sortir de ce labyrinthe où Passavant et Stahr nous ont égarés, il nous faut recourir à la sagacité d’un autre guide. « Il n’existe, écrit Herman Grimm, qu’un seul portrait reproduisant à quelques années de distance le modèle de cette jeune femme, et je me hâte d’ajouter que la peinture est dans un état des plus lamentables ; mais n’importe, craquelée et ravagée comme elle est, on y sent la main de Raphaël, et vous y saisissez distinctement, en même temps qu’une certaine ressemblance avec le portrait du palais Barberini, un air de famille très caractérisé avec le type de la Madone de Saint-Sixte et de la Vierge à la Chaise, de telle sorte que l’esprit arrive involontairement à cette conclusion qu’il s’agit bien en effet cette fois, de la femme aimée par Raphaël pendant de longues années et reproduite à différens âges. » Jadis en la possession de M. Kestner, conseiller de légation à Rome, cette toile a passé à ses héritiers et fait aujourd’hui partie de la belle collection italienne qu’on peut voir à Hanovre. À l’exemple de la jeune femme du palais Barberini, celle-ci porte une écharpe enroulée autour de la tête, même nuance de cheveux, même cou délicat, mêmes traits avec quelque chose de plus fin partout, de plus mûri, de plus intellectuel. Les mains retiennent une pelisse librement jetée sur les épaules et laissent la poitrine à découvert ; à l’entre-bâillement de la chemise, très basse, entre les deux seins, une chaîne d’or glisse et plonge.

Mais enfin cette belle dame, quelle est-elle ? celle que le banquier Chigi faisait asseoir sur l’échafaudage dressé dans son jardin, celle dont Baviera, le page de Raphaël, fut le serviteur attitré, ou celle qui tenait la maison de l’artiste lorsqu’il mourut ? Fu Rafaello persona molto amorosa, ed affezionata alle donne e di continua presto ai servigi loro ; en d’autres termes : Raphaël fut un seigneur moult amoureux, adorant les dames et toujours prompt à les servir. Vasari, lorsqu’il s’exprime ainsi, doit avoir ses raisons ; il sait que dans les mille bruits qui sont venus à ses oreilles, s’il y en a beaucoup à rejeter, beaucoup sont vraisemblables, et quelques-uns sont vrais. Il n’entend rien affirmer ni rien nier, et s’en tire très malicieusement en nous enseignant que Raphaël fut un garçon moult amoureux. À nous d’en découvrir davantage si nous pouvons, et lors même que nous le pourrions, quand nous arriverions à dresser jour par jour la nomenclature de ses maîtresses, à