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siérait d’évoquer, en tenant compte néanmoins chez les deux héroïnes de la différence d’âge et n’admettant que le mysticisme de la situation ? L’homme pour qui la pierre ni le martre n’ont de rigueur se soumet docilement à cette gêne du sonnet. Aussi quel mal il se donne, quel souci de la forme et du pointillé, et combien cette métaphysique est loin de répondre à l’idée que nous autres gens du nord nous nous faisons d’une chanson d’amour. Rien pour le sentiment, l’esprit toujours primant le cœur et la contexture harmonique remportant sur la mélodie ; poésie de savans et d’initiés qui jamais ne sera populaire de même que son amour se confond avec sa piété dans une absorption ineffable, ainsi tous les arts qu’il a pratiqués, la sculpture, la peinture, la poésie, se confondent en un seul art, et c’est d’elle seulement, de la divine dame que lui viennent la vie et la grâce. Il offre à sa plume bénie urne page blanche afin qu’elle y daigne transcrire les principes et les instructions dont il a besoin au milieu des fluctuations de son âme. N’est-ce point elle qui l’a constamment soutenu dans a ces bleus sentiers de l’idéal où n’ont jamais cessé détendre ses efforts de sculpteur, de peintre et de poète ? » Ceux-là peuvent renoncer à l’art qui ne connaissent pas cette consécration, « car le chemin de la grâce leur est fermé. » Trouver dans tous les sens cette voie du salut est l’unique recherche du vieux poète ; les passions de ses jeunes aimées ont jeté leurs derniers feux ; il ne souhaite, ne veut que le repos, la paix en Dieu, et Vittoria lui sert d’intermédiaire pour obtenir ce souverain bien. Comment suspendrait-il un instant son hymne de gloire ? Elle et lui n’ont qu’une seule âme incessamment tournée vers le ciel. Honni soit quiconque raillerait une pareille ardeur : « C’est mentir à Dieu et aux hommes que ridiculiser la vieillesse qu’embrasent les flammes du divin amour. » Flammes bien vivaces pourtant et sur la nature desquelles Michel-Ange eut parfois des illusions répréhensibles, s’il faut en croire mainte admonestation où la chaste dame lui reproche ses envois trop fréquens et doucement le rappelle à l’ordre et à la prière. Ces tristes loisirs qu’on lui inflige, ces vacances forcées entre deux sonnets à sa dame, il les emploie à se rapprocher du vieux Dante, et comment de pareils hommes ne se comprendraient-ils pas à travers les âges, tous tes deux Florentins et bannis, tous les deux d’humeur sombre et taciturne, intrépides[1] et de la race des Titans :

En ce monde méchant, un astre radieux,
Et qui sur mon pays se leva solitaire ;
Quel honneur lui pourrait jamais offrir la terre ?
Seigneur, sa récompense est en vous dans les cieux !

  1. Dante, à Campaldino, se battait au premier rang de la cavalerie.